
Résumé:
Dans cet article j’expose ma vision du processus thérapeutique et du transfert en Analyse Psycho-Organique. J’explicite ce qu’est pour moi la relation thérapeutique. C’est à partir des trois déterminants fondamentaux du développement psycho-affectif de l’être humain (processus d’attachement et de sécurité, interactivité-intersubjectivité, relation œdipienne) que peut se construire la relation thérapeutique et autour de ces trois axes que se développe le transfert. Deux de ces trois déterminants interviennent avant l’apparition du langage. Cela donne tout son poids à notre pratique d’analyste psycho-organique où la sensation corporelle, le sentiment et l’émotion sont pleinement investis et explorés comme porteurs de situations, initiateurs de la subjectivation et fondateurs, dans le transfert, des processus de régression, de réparation et de transformation.
Abstract :
In this article I expose my vision of the therapeutical process and transfer in Psycho-Organic Analysis. I explain what is, in my view, the therapeutical relationship. It is from the three fundamental determinants of human psycho-emotional development (attachment and security process, interactivity-intersubjectivity, Œdipal relationship) that the therapeutical relationship can build itself and around these three axes that transfer can develop. Two of these three determinants happen before the development of language. This reinforces the value of our practice as psycho-organic analysts, in which body sensations, feeings and emotions are fully considered and investigated as situation bearers, subjectivation initiators and creators,through transfer, of regression, repairing and transformation processes.
Mots-clés: Analyse Psycho-Organique, processus thérapeutique, conséquentiel, relation thérapeutique, sécurité de base, processus d’attachement, interactivité, intersubjectivité, Œdipe, transfert, contre-transfert, silence.
Key words : Psycho-Organic Analysis, therapeutic process, consequential, therapeutical relationship, base security, attachment process, interactivity, intersubjectivity, Œdipus complex, transferencial relationship, counter-transferencial relationship, silence.
L’Analyse Psycho-Organique est une psychothérapie à processus. Cela signifie que nous faisons confiance au thérapisant pour actualiser dans la séance et dans le transfert les situations qui lui sont problématiques et qu’il souhaite résoudre.
Cette façon de faire confiance au thérapisant signifie que nous croyons en un noyau sain dans la personne qui cherche à se réaliser le plus totalement possible. Cela s’inscrit pour nous dans un mouvement plus vaste que nous appelons le «conséquentiel».
Un bébé à sa naissance attend de vivre un certain nombre de choses. Il ne le sait pas consciemment, mais tout en lui attend d’être nourri, porté, aimé, il attend qu’on lui parle, qu’on l’intègre à un univers, qu’on s’occupe de lui. Il n’est pas inactif pour cela. Le psychanalyste D.Stern, notamment, a montré comment le bébé met en jeu un ensemble de compétences pour entrer en relation, pour créer de la relation, puisque, en étant totalement dépendant de son entourage, il a crucialement besoin de l’autre (Stern, 1985). Ne va-t-on pas jusqu’à penser que la frimousse si attachante des bébés (et pas seulement des bébés humains) est un facteur mis en place par l’évolution pour que le bébé attire la sympathie, la protection et l’amour dont il a besoin?
Voilà, le besoin, inscrit en nous, de vivre ce qui nous permet de nous développer et de devenir le plus possible nous-mêmes, c’est cela le conséquentiel.
Ce conséquentiel se trouve confronté à la réalité. Le bébé, avec tout son potentiel, arrive dans un contexte, plus ou moins favorable. Est-il l’enfant attendu dont on s’occupera avec amour et qui trouvera d’emblée sa place? N’est-il pas si attendu que cela ou pas attendu du tout? Est-il vécu comme une charge? Ses attentes ne seront alors peut-être pas si facilement satisfaites, voire pas satisfaites du tout. Les situations réelles permettent, en effet, une plus ou moins grande réalisation du conséquentiel.
Il se trouve que la part du conséquentiel qui n’a pas été vécue demeure toujours en attente de se réaliser. L’enfant qui n’a pas été suffisamment aimé, considéré, soutenu garde toujours en lui, même devenu adulte, ces attentes vivantes, plus ou moins enfouies. C’est cela, fondamentalement, qui motive le processus thérapeutique et fait qu’il fonctionne.
Tout au long de sa vie, l’être humain est confronté au conséquentiel. Durant toute son existence, la personne cherche constamment à se réaliser le plus possible, à développer le plus possible ses talents, ses désirs, à satisfaire ses besoins, ses capacités, à incarner ce pour quoi elle a le sentiment d’être faite.
Une autre façon de définir le conséquentiel est de dire que c’est ce qui produit la grande souffrance que ressent l’individu lorsqu’il ne peut pas accomplir ce qu’il désire et veut réaliser. Cette douleur peut être très intense, elle résulte de l’incomplétude de la réalisation de sa propre subjectivité.
La réalisation du conséquentiel rencontre des obstacles: des empêchements concrets, matériels, dus à l’endroit, à la culture, à la période où l’on vit et qui ne rendent pas toujours possible la pleine réalisation de soi. D’autres entraves sont issues de problématiques relationnelles: la névrose familiale, par exemple, assigne chacun à une certaine place, contraint la personne, limite sa liberté d’évolution. Les difficultés produites par la structure familiale, les mouvements inconscients projetés sur la personne, les contrats de loyauté dans lesquels le thérapisant se sent pris consciemment ou inconsciemment sont des éléments sur lesquels le processus thérapeutique peut agir.
Le conséquentiel est comme une tête chercheuse, disposant de toute l’énergie de vie, qui s’ingénie à ce que l’être, dès que cela est possible, puisse se réaliser. On comprend ainsi que dans le processus thérapeutique nous suivions le patient dans ce mouvement naturel de sa réalisation. Ce mouvement passe par la réparation d’un certain nombre d’étapes ou de situations de la vie du thérapisant qui ont inhibé, bloqué, rendu impossible cette réalisation.
Je parle ici de mouvement naturel car il me semble clair que nous savons inconsciemment ce qui nous a arrêté dans notre développement. Notre être entier sait ce qui lui a manqué. Nous connaissons les endroits qu’il nous faut revisiter, là où nous devons rejouer les choses, les situations où nous n’avons pas été suffisamment accompagnés, où des propositions de développement ne nous ont pas été faites et que nous souhaitons (il s’agit d’une connaissance essentiellement inconsciente) réparer ou développer pour une plus grande complétude de nous-même. Le processus thérapeutique est mû fondamentalement par le besoin de la personne de repasser par différentes étapes et situations de son histoire. En reprenant ce qui s’est passé ou ce qui ne s’est pas passé pour elle à ces moments-là, la personne libère le cours de ce qu’elle attend, de ce qu’elle veut vivre et se reconnecte ainsi maintenant à des éléments de son évolution.
La situation thérapeutique permet parfois cela: des nœuds de blocage, de non-réalisation peuvent s’actualiser, être reconnus et remaniés dans le cadre de la relation thérapeutique, c’est ce qu’on appelle le transfert.
En APO, nous suivons donc le cheminement du thérapisant, sans le précéder, sans savoir pour lui, sans savoir où il va aller, sans le mener là où nous souhaiterions qu’il aille et de la façon dont nous souhaiterions qu’il y aille: c’est la personne elle-même qui s’oriente inconsciemment vers ce dont elle a besoin.
Notre travail consiste donc à accompagner grâce à la relation transférentielle. Il s’agit pour le thérapeute d’être extrêmement attentif à cette relation et aux possibilités de transformation qui peuvent éclore pour le thérapisant grâce à ce qu’il y vit et y investit. Le thérapisant évolue à son rythme, selon ses propres possibilités de changement, suivant les chemins qu’il lui est nécessaire de reprendre. Nous ne remplissons pas l’espace transférentiel de mots, de propositions, d’outils, ni même de silence. Nous laissons résonner au contraire la capacité et la sensibilité de cet espace, son ouverture, en étant pleinement attentifs à ce que la personne manifeste verbalement et corporellement. Nous cherchons à être en contact avec ce sujet inconscient qui explore, qui expérimente la relation, un sujet actif qui ne se connaît pas toujours lui-même dans ces moments de son développement qu’il veut visiter, puisqu’il n’a jamais été accueilli à ces endroits-là.
QU’EST-CE QUI FAVORISE LA RELATION THERAPEUTIQUE ?
L’accueil, en tout premier lieu, qui permet l’installation d’un bon processus transférentiel et transformationnel, est fondamental.
Cet accueil est l’accueil de l’enfant qui vient à nous. Chaleureusement, c’est l’accueil de l’individu dans sa richesse et dans sa souffrance, dans son absolue originalité subjective dont nous nous mettons à l’écoute.
La relation thérapeutique étant le facteur thérapeutique premier [1], il convient de porter beaucoup d’attention à la qualité de cette relation. Être écouté par un autre le plus présent possible soigne profondément. Notre savoir-faire commence donc par la qualité de l’accueil, par une attitude ouverte et attentionnée, attentive, exempte de jugement, qui permet à la personne de se saisir de cette situation pour s’exprimer, laisser émerger ce qu’elle ressent, ce qui se passe en elle. C’est la confiance dans la relation, le non-jugement et l’ouverture du thérapeute que perçoit le thérapisant qui lui permettent de s’ouvrir peu à peu, de livrer des parties de son intimité et d’accueillir le nouveau, l’inconnu.
Dire que nous suivons le processus thérapeutique ne signifie pas que nous sommes inactifs. La relation thérapeutique est aussi habitée de la capacité de vie du thérapeute. Nous sommes dans une écoute chaleureuse et active. Nous laissons une place grande ouverte à l’émergence des sensations corporelles et des émotions en étant attentifs à l’unité de la personne.
Une de nos caractéristiques est aussi de pouvoir proposer, selon les situations qui apparaissent pour le thérapisant, des façons de faire spécifiques, notamment ce que nous appelons des «expérientiels». Ce sont des moyens proposés pour explorer et approfondir une situation, les restes et les effets de cette situation, des moyens aussi pour contacter le conséquentiel. Ces possibilités de travailler sont multiples. D’autant plus nombreuses que nous pouvons les adapter spécifiquement au thérapisant qui est là, aux particularités de la situation concernée, au moment du processus. Le travail du PIT est certainement notre expérientiel de base, mais nous pouvons aussi travailler à partir des rêves nocturnes et de rêves éveillés, de scénarisations de la situation, à partir de différentes modalités d’expression.
Proposer ces différentes façons d’appréhender des situations, proposer des modalités de travail est bien sûr une question délicate. C’est la question de la justesse et de la pertinence d’une intervention dans l’espace thérapeutique du thérapisant et dans le cadre du transfert. Mon expérience cependant m’enseigne que, lorsque ces propositions sont en phase avec le processus, qu’elles ne malmènent pas les défenses psychiques du thérapisant, elles constituent des leviers thérapeutiques formidables pour modifier thérapeutiquement ce qui reste de néfaste, d’aliénant ou de désubjectivant dans les situations concernées.
Bien souvent dans le processus thérapeutique, au-delà de problématiques liées à l’œdipe, il est nécessaire d’aller rencontrer le jeune enfant, empêché, blessé, angoissé parfois et de lui permettre d’entendre ce qu’il n’a pas entendu, de vivre dans le transfert ce qu’il n’a pas vécu, afin de reprendre les chemins d’un développement qui s’est trouvé jusque-là partiellement inhibé et dont sa vie d’adulte porte généralement les traces.
On peut considérer que le développement psycho-affectif de l’être humain est mobilisé par les trois éléments fondamentaux suivants [2] qui sont ceux qu’on retrouvera aussi au cœur du processus thérapeutique:
– La problématique de la sécurité de base, c’est ce que met en évidence la théorie de l’attachement.
– L’interactivité et l’intersubjectivité du sujet humain qui, dès le début de sa vie, communique et se développe dans l’interaction.
– La structuration œdipienne qui oriente le désir de l’enfant, puis de l’adolescent, vers des voies de réalisation de lui-même en dehors de la seule cellule familiale.
LA SECURITE DE BASE, LE PROCESSUS D’ATTACHEMENT
Le processus d’attachement concerne le fait qu’un jeune enfant, pour se développer normalement et acquérir une relation stable et satisfaisante au monde, doit développer une relation dite d’attachement avec au moins une personne. Cette personne qui se trouve dans une présence attentionnée, continue et cohérente à l’enfant, qui s’occupe de lui d’une façon communicante, est appelée le «caregiver» (le donneur de soin) par le psychiatre et psychanalyste John Bowlby, qui est à l’origine de cette découverte. Cette «figure d’attachement» se met en place dès les premiers jours de l’enfant et lui procure une sécurité de base.
Découverte de l’attachement
Contrairement à ce qu’on pense souvent, la découverte des principes de l’attachement chez l’homme ne s’est pas faite à partir de l’extrapolation, par John Bowlby, des recherches de l’éthologie, mais à la suite de l’observation du comportement d’enfants en Angleterre durant la seconde guerre mondiale.
À Londres, des pédiatres observent durant la guerre ce qu’ils appellent le nanisme affectif. Londres ayant été beaucoup bombardée, de nombreux enfants se sont retrouvés orphelins et placés dans différentes institutions d’accueil. Anna Freud et D.W. Winnicott, notamment, remarquent que le développement corporel et la qualité de la relation affective de ces enfants ne sont pas les mêmes selon les établissements dans lesquels ils se trouvent.
Dans certains d’entre eux, de nombreux enfants meurent, ont un retard cognitif et de développement physique parfois très importants, alors que dans d’autres endroits on observe un développement normal. En recherchant ce qui dans ces lieux d’accueil peut expliquer ces différences, ils constatent que les enfants isolés affectivement, à qui on ne parle pas, dont on ne s’occupe que de façon opératoire, sans attention particulière, sans affect, présentent ces retards cognitifs et sont statistiquement beaucoup plus petits que la moyenne.
Au même moment (dans les années 1945-50), R.Spitz étudie, de son côté, les premières années de la vie de l’enfant. Il montre l’importance de la relation précoce entre l’enfant et sa mère et définit les différentes étapes du développement de ce qu’on appelle la relation d’objet. Il s’agit de la façon dont l’enfant intègre progressivement, grâce à la présence et à l’interaction de sa mère, la différence entre lui et elle, puis l’existence d’autres personnes indépendantes de lui.
À la suite de l’observation d’enfants placés dans différents établissements, R.Spitz montre la nécessité cruciale du lien entre l’enfant et un substitut maternel pour que cet enfant se développe normalement. Il appelle «hospitalisme» les effets nocifs ou dramatiques que produit chez l’enfant le placement en institution dès le premier âge, lorsqu’on s’occupe physiquement de lui, mais sans contact individualisé, sans présence attentionnée, ni constance (du fait, par exemple, de la multiplicité des personnes s’occupant de l’enfant) (Spitz 1945).
Lorsque le placement se fait durant la première année de l’enfant alors que celui-ci a connu sa mère (l’enfant est placé du fait du décès de sa mère, par exemple), cela entraîne de profonds troubles carentiels:
– Si la séparation a lieu après 6mois de relation avec sa mère, la privation d’affects partagés conduit à un tableau de «dépression anaclitique» avec des crises d’angoisse, un arrêt du développement, puis à un état de léthargie au bout de 3mois. Ces troubles disparaissent rapidement si l’enfant retrouve sa mère ou un substitut maternel fiable et constant entre le troisième et le cinquième mois après la séparation.
– Si la séparation est plus précoce que 6mois, ou si les retrouvailles avec la mère de l’enfant ou un substitut ne se font pas, le retard moteur s’accentue. Il apparaît alors ce que R.Spitz appelle un état de «marasme» (proche des symptômes de l’encéphalopathie ou de l’arriération mentale), état qui peut se montrer irréversible et même entraîner la mort (Spitz, 1946).
Il va sans dire que les effets des travaux de R.Spitz ont eu une influence considérable sur la manière de prendre en charge les jeunes enfants. À partir de là, la façon de s’en occuper en institution s’est profondément transformée (en tout cas dans les pays occidentaux): ce qu’on manifeste au bébé d’affection et de respect, les échanges qu’on a avec lui, la permanence d’un substitut maternel ont été intégrés comme nécessaires à la survie et au développement psychocorporel des jeunes enfants.
À cette même époque (1946), John Bowlby, qui était psychiatre et psychanalyste, intègre la Tavistock Clinic et se voit confier par l’OMS une étude sur les besoins des enfants orphelins. De ce travail sortira ce qu’on appelle la «théorie de l’attachement». Cette théorie définit que, jusqu’à l’âge de 2ans et demi, les enfants développent une relation d’attachement à la personne qui est en relation avec eux de façon attentionnée et constante.
À partir de 2ans, ils vivent cette figure d’attachement comme une base de sécurité à partir de laquelle ils peuvent aller explorer leur environnement. Ils savent qu’ils peuvent revenir se réconforter auprès d’elle s’ils en ont besoin.
Bowlby s’est toujours dit très marqué par les travaux de Darwin et il était convaincu que cette nécessité de l’attachement est une façon très efficace de contribuer à la survie du petit d’homme. L’attachement est une façon pour l’espèce de se protéger de dangers de tous ordres. C’est à partir de là que Bowlby va voir du côté de l’éthologie: qu’y a-t-il à apprendre des autres espèces animales concernant cette relation d’attachement?
L’éthologie
Bowlby s’intéresse tout particulièrement aux travaux de Konrad Lorenz sur «l’empreinte» qui montrent l’attachement de l’animal à la figure qui se trouve à côté de lui durant un laps de temps précis après sa naissance (ce qu’on appelle «la période sensible»). Cette figure est statistiquement la mère de l’animal, mais l’expérience montre qu’il peut s’agir aussi d’une autre figure animée.
Lorenz observe ainsi des petites oies cendrées à leur naissance: les oisons s’attachent à leur mère et la suivent systématiquement où qu’elle aille. Si Lorenz présente à leur naissance un objet mobile, autre que la mère, par exemple un ballon coloré ou lui-même, les oisons prendront cet objet comme objet d’attachement et le suivront comme s’il s’agissait de leur mère. Il y a une photo célèbre de K.Lorenz nageant entouré d’oies cendrées qui le prennent pour leur mère. Si leur véritable mère est présentée aux canetons ultérieurement, cela ne modifie en rien l’attachement qu’ils ont pour l’objet présent au moment de leur naissance, celui qui a laissé son «empreinte».
Cet attachement se produit à ce qui apparaît de façon mobile dans le champ visuel du caneton durant la période sensible entre la 13e et la 16eheure après sa naissance. Un objet présenté avant ou après cette période, qui est un moment spécifique de maturation neurologique, ne produit pas d’attachement.
Par la suite, comme pour le petit humain, on remarque que le caneton se sent en sécurité en présence de sa figure d’attachement: il vaque, il va explorer ce qui est autour de lui, puis il revient régulièrement se rassurer auprès d’elle. Laissé dans l’absence de cette figure d’attachement, le caneton panique, il court dans tous les sens et se met à avoir des diarrhées émotionnelles.
J. Bowlby, revenant sur cette expérience, note bien qu’il n’y a pas d’empreinte chez l’être humain. Le lien à la figure d’attachement est plus souple pour le bébé. Selon les circonstances de sa vie, il peut être amené à investir différents caregivers. Privé d’une première figure d’attachement, il peut, par exemple, se lier à une autre personne et poursuivre son développement de façon normale.
De nombreuses autres expériences éthologiques ont montré la constance du lien d’attachement. La plus célèbre est certainement celle de Harry Harlow en 1958 avec de jeunes singes macaques : un jeune singe macaque est placé dans une cage en présence de deux mannequins réchauffés par une ampoule électrique, représentant grossièrement un macaque adulte avec des visages ronds en bois. L’un est constitué d’un treillis métallique avec deux tétines figurant des mamelles et procurant du lait chaud. L’autre est fait en tissu, sans tétines.
Cette expérience, faite et refaite de nombreuses fois avec des variables différentes (chaleur uniquement dans le mannequin en fil de fer, biberon froid, etc.) montre ceci: dans toutes circonstances, c’est le mannequin en tissu que les macaques rejoignent dans la situation de stress. Même si le mannequin en fil de fer est chauffé, même s’il offre un biberon appétissant, c’est toujours la douceur de la présence du tissu vers laquelle vont les petits macaques.
Il faut être très prudent sur la validité de l’application des comportements des animaux aux comportements humains [3]. Néanmoins, c’est à partir de ce comportement des petits macaques, qui vont se rassurer d’abord auprès de leur «mère» en tissu pour aller explorer ensuite un objet inconnu, que Mary Ainsworth aura l’idée d’étudier l’existence d’une «base sécurisante» chez l’enfant. Elle observe longuement de jeunes enfants et constate qu’ils vont d’autant mieux explorer le monde qu’ils manifestent d’autant plus d’indépendance, de curiosité et de force qu’ils peuvent effectivement se réconforter auprès d’une figure d’attachement valide en cas de danger (Ainsworth, 1974, 1979; Ainsworth et al., 1978).
L’attachement humain, les modes d’attachement
Le système d’attachement est absolument nécessaire à la vie. Il est donc très solide. Il se met en place de façon immédiate, prédéterminé par la nécessité de survivre.
À partir de l’âge de 2ans, les enfants sont capables d’une certaine distance d’avec la figure d’attachement et ils l’utilisent comme une «base de sécurité» à partir de laquelle ils sont capables d’aller explorer le monde, et vers laquelle ils reviennent lorsqu’ils ont besoin de se rassurer. C’est parce qu’ils sont sécurisés qu’ils peuvent aller, seuls, explorer leur environnement.
À partir de 3 ou 4ans, la séparation physique d’avec la figure d’attachement n’est plus vécue par l’enfant comme une menace pour le lien lui-même (c’est d’ailleurs l’âge de l’entrée à l’école). C’est l’absence prolongée de cette figure d’attachement, une éventuelle rupture de communication ou un abandon qui peuvent à partir de cet âge-là (et ce sera encore le cas pour l’adulte) produire chez l’enfant une peur ou de l’angoisse quant à son sentiment de sécurité.
Conjointement à cette notion de base de sécurité qu’elle met en évidence dans les années 1960-70, Mary Ainsworth montre aussi que la qualité de la relation d’attachement pour l’enfant dépend de la personnalité, de la façon d’être de la figure d’attachement: une maman attentionnée et en phase avec son enfant ne produira pas la même qualité d’attachement qu’une maman imprévisible, préoccupée, sans attention, parfois absente.
Quatre types d’attachement ont été mis en évidence: l’attachement sécure, et trois types d’attachement insécures qui sont l’attachement anxieux, l’attachement évitant et l’attachement désorganisé.
L’attachement désorganisé est le plus préoccupant: les enfants avec ce type d’attachement se comportent comme s’ils craignaient d’être abandonnés, ils donnent l’impression qu’ils se sentent en danger. Ils présentent des retards dans leurs capacités d’échange, tant avec l’adulte qu’avec d’autres enfants (ils mettent par exemple beaucoup plus de temps à s’adapter à la crèche), ainsi que des retards de développement moteur. Leurs rythmes de sommeil sont souvent perturbés. L’épisode de sommeil le plus long, notamment pour les enfants entre 6 et 12mois, n’a pas toujours lieu durant la nuit (Montagner, 1988; Montagner, Stevens, 2003).
Il semble que 80% des enfants maltraités présentent ce type d’attachement. Seulement 15% des enfants maltraités parviennent à développer un attachement sécure. À l’adolescence, dans ce schème désorganisé, les jeunes ont souvent des relations à l’autre difficiles, de l’ordre de la lutte, du conflit ou de la fuite alternant agression et retrait (Schaffer, 2007). Il n’y a pas de causalité systématique entre une organisation d’attachement insécure et des difficultés psychopathologiques spécifiques. Cependant, la relation entre attachement insécure (pas seulement l’attachement désorganisé) et psychopathologies de l’enfance et de l’adolescence est clairement établie (Pearce, Pezzot-Pearce, 2007).
Remarquons que ces diverses modalités d’attachement sont toutes des façons d’obtenir ce lien d’attachement et constituent pour l’enfant une façon de continuer d’exister et de se développer même si cet attachement n’est pas totalement, ou pas du tout, satisfaisant. Les enfants constituent des liens d’attachement avec quiconque est en interaction avec eux, même si cette personne est pathogène, déstructurée ou maltraitante. La nécessité de l’attachement l’emporte absolument sur sa qualité. C’est une des grandes difficultés que nous rencontrons dans notre travail thérapeutique: celle des personnes attachées à des liens toxiques qu’il leur est très difficile lâcher puisque ceux-ci ont, pour elles, une fonction de sécurité.
L’enfant tente tout ce qui est possible pour se sentir en lien, investi par quelqu’un dont il a besoin qu’il le soutienne et le protège, et il s’adapte en modulant son lien d’attachement en fonction de la personnalité du caregiver. Les attachements insécures sont donc, eux aussi, au service de la vie et du développement optimal de l’enfant dans son contexte de vie. Ce n’est que lorsque l’attachement est absolument impossible, comme dans l’hospitalisme de Spitz, que l’enfant abandonne, jusqu’à mourir.
Aujourd’hui en France, deux enfants sur trois, à dix mois, ont acquis une figure d’attachement sécure. À dixmois, un enfant sur trois n’a donc pas de figure d’attachement sécure. Face à un inconnu, une difficulté, il reste blotti contre sa mère, immobile, ne se met pas en disposition spatiale pour apprendre à parler (Cyrulnik, 2012).
Les schèmes d’attachement évoluent et se modifient en fonction du comportement du caregiver. Un schème d’attachement est mobile et s’adapte aux variations de la qualité du lien d’attachement. Une maman en deuil ou dépressive pourra induire un certain schème d’attachement qui se modifiera lorsqu’elle sera sortie de sa dépression. Ces changements se produisent, quel que soit l’âge de l’enfant; ils peuvent aussi avoir lieu à l’adolescence, ainsi que pour l’adulte qui garde en lui l’empreinte de son schème d’attachement.
C’est ce qui donne tout son poids au travail thérapeutique qui peut conduire à modifier un schème d’attachement insatisfaisant.
Plusieurs études, notamment celles [4] menées à partir d’orphelins roumains adoptés par des familles occidentales après la destitution de Ceausescu, montrent toutes que dans la très grande majorité des cas, des enfants ayant vécu dans des situations de solitude et d’absence de soins dramatiques, avec des privations sensorielles et un grand isolement psycho-affectif, récupéraient, parfois dès la fin de la première année d’adoption, leurs déficits de développement corporels et cognitifs initialement très importants.
L’attachement adulte et le travail thérapeutique
À partir des années 1980, des ponts ont été faits entre ces relations d’attachement pour l’enfant et les modalités d’attachement des adultes.
L’adulte continue de porter en lui, dans son rapport à l’autre et au monde, les principes et la teneur de sa modalité précoce d’attachement. Cet attachement a été pour chacun de nous une adaptation active à ce qui nous était proposé. Il continue de teinter notre relation à l’autre et au monde. Cet attachement, qui est assez proche de ce que nous appelons «les contrats» en APO, a pu se modifier en fonction de nos expériences d’adolescent et d’adulte. Aussi, appréhendons-nous le monde et la relation à l’autre de façon sécure, anxieuse, évitante ou désorganisée, si nous nous en tenons à ces quatre schèmes d’attachement.
Si je développe ici ce qu’est l’attachement, c’est parce que nombre de demandes de psychothérapie sont faites actuellement par des personnes ayant vécu (et vivant souvent encore) des problématiques d’attachement insécures. Souvent la fonction fondamentale de la psychothérapie est de réparer ce qui s’est passé ou plutôt ce qui ne s’est pas passé pour ces personnes dans la qualité du lien d’attachement durant la petite enfance et les conséquences de cette situation.
Les processus d’attachement insécures conduisent les enfants à se structurer préférentiellement sur des modes psychotiques ou ceux qu’on appelle «états-limites».
Les remaniements qui peuvent avoir lieu à l’adolescence permettent une transformation ou des réaménagements de ces modes structurels, mais il est clair que des perturbations de la relation d’attachement précoce orientent vers un rapport à l’autre et au monde organisé par ces deux types de structures.
Le travail thérapeutique peut modifier ces schèmes d’attachement. C’est grâce à la relation de transfert que peut s’opérer fondamentalement et très progressivement un réaménagement de ces positions. Par ce que la personne vit de différent dans la qualité de la relation au thérapeute, elle peut se nourrir de ce que précisément elle n’a pas eu, c’est-à-dire un vrai contact psychique, une relation attentionnée, attentive, disponible, prévisible, constante. C’est alors que le conséquentiel, c’est-à-dire le besoin d’être accepté, reconnu et contenu dans une relation de ce type, peut se révéler et être nourri, avec des effets de réaménagement et de transformation.
La relation de transfert se met en place en APO comme dans toute forme de thérapie. Il y a cependant différentes façons de travailler avec le transfert, et je vais montrer comment j’utilise cet outil thérapeutique majeur.
Au sein de cette relation de transfert qui colore, de mon point de vue, l’ensemble du travail thérapeutique, nous disposons aussi, par ailleurs, de formes de travail spécifiques pour permettre un réaménagement de ces relations précoces. Il s’agit principalement de diverses propositions de travail de «régression positive» et aussi de l’émergence et de la transformation de ce que nous appelons des «contrats», existentiels ou relationnels, bien souvent inconscients, que le thérapisant a mis en place pour se positionner dans son rapport à l’autre.
L’INTERACTIVITE ET L’INTERSUBJECTIVITE DU TRES JEUNE ENFANT
L’interactivité est une motivation primaire pour le petit humain. Lui qui se trouve totalement dépendant de son entourage doit participer activement à l’instauration d’une interaction avec son environnement: il lui faut montrer son existence, exprimer ses besoins, assurer sa survie, développer son identité et sa capacité à penser.
Cette interaction se nourrit d’un ajustement réciproque de la mère et de l’enfant aux messages envoyés par l’un et par l’autre. Dès ses premières heures, le bébé est actif dans l’instauration de cette interaction, il peut mimer notamment des expressions du visage humain, et principalement de celui de sa mère [5] (Decety, 2002).
Dès la naissance, il y a un ajustement des mimiques, des gestes et des postures corporelles entre la mère et son enfant. Aux manifestations de l’un s’ajustent avec précision les manifestations de l’autre. On sait que le bébé différencie très tôt sa mère des autres personnes qui s’occupent de lui ou qui sont autour de lui. Ces échanges entre le bébé et sa mère s’appuient sur ce que D.Stern appelle un «accordage affectif», émotionnel, très subtil mais très puissant entre la mère et son enfant (Stern, 1985). Par cet accordage se communique d’emblée un ensemble de sensations et d’émotions partagées.
On voit que le bébé, réagissant aux messages et aux actions de ses parents, leur adressant de multiples signes par lesquels il reconnaît la relation, les gratifie comme parents et les fait naître à la parentalité.
Ce processus d’accordage réciproque, dans sa subtilité et sa permanence, ne se remarque pas à l’œil nu. Il est en grande partie inconscient de la part de la mère. D.Stern a pu montrer, en décryptant image par image des prises de vue qu’il a faites, la finesse de ces ajustements réciproques entre la mère et son enfant: à un geste du bébé répond un geste de sa mère, à un regard du bébé, un regard de la mère, à une mimique du bébé, une mimique de la mère, dans une efflorescence rapide et constante.
Progressivement, à travers les sons, les différences de rythmes, l’enfant pourra mieux identifier ce qui vient de lui et ce qui vient du monde extérieur. Dans la façon dont il est porté, contenu, ramassé en lui-même par les bras qui l’entourent, dans la délicatesse et le respect qu’on met à s’occuper de lui, dans la situation de l’allaitement, tout particulièrement, l’enfant pourra s’approprier ses propres sensations physiques qui prennent sens par le comportement de sa mère, les intonations, les mots qu’elle associe à ce qu’elle sent qu’il se passe pour son enfant. D’une certaine façon, la mère prête à son enfant ses propres pensées, elle attribue au bébé des pensées, des interprétations qui nourriront progressivement chez lui ce qu’on appelle des protopensées sur lui-même, bases de son individuation.
La différenciation des sensations, des moments, des personnes dont il est progressivement capable produit chez l’enfant un premier sentiment basal de différenciation d’avec sa mère et une ébauche de conscience de lui-même. Cette différenciation se fait pour l’enfant par la perception de ses sensations sensorielles qui varient selon les moments, les personnes, et de la façon dont on s’occupe de lui. C’est à partir de là, comme l’a montré F.Dolto (Dolto, 1984) que l’enfant pourra commencer à se sentir sujet.
L’émergence de l’identité se fait donc par les sensations du corps. L’enfant n’est pas encore capable de véritables pensées. F.Dolto a montré que c’est par l’intermédiaire de ce qu’elle appelle l’image inconsciente du corps qu’émerge progressivement une sensation de «mêmeté d’être» amenant progressivement à une sensation de soi.
C’est dans l’unité psycho-organique que constitue le bébé, à partir de la différenciation des sensations, qu’apparaît la conscience de soi. Sans doute jamais autant qu’en observant comment un bébé est pris tout entier dans ce qu’il se passe dans son ventre, sur sa peau, dans sa bouche, on ne prend conscience de l’unité psycho-organique que nous constituons.
Que reste-t-il chez l’adulte de cette subjectivité liée au corps? De cette subjectivité qui s’appuie sur les sensations du corps?
Nous verrons avec la neurophysiologie moderne comment notre sentiment puis notre pensée d’adulte s’appuient toujours sur la sensation corporelle.
La maturation neurologique et le développement cortical font de l’adulte un être bien différent du bébé. Il est pourtant notable que, dans un travail thérapeutique avec l’adulte, c’est à partir de l’attention portée aux sensations corporelles qu’on peut le plus directement contacter la subjectivité. C’est dans le contact avec ce qui lui vient de son corps que l’être adulte perçoit le mieux la force de son désir, la certitude de ce qu’il souhaite fondamentalement, sa capacité à s’autodéterminer, sa compétence à savoir ce qui est bon pour lui-même.
Conjointement à l’effet subjectivant de la différenciation des sensations, ce qui se joue pour l’enfant dans l’interactivité, dans l’interaction avec l’autre est également indispensable à l’émergence du sentiment de soi.
Si sa mère répond de façon adéquate, adaptée aux besoins de son enfant, celui-ci accentuera ses échanges et sera conforté dans le fait que ses besoins peuvent être satisfaits.
C’est à partir de l’adéquation de cette relation que l’enfant conforte sa capacité d’agir et la constatation des effets de cette action. La subjectivité se construit aussi à partir de cela.
Si, en revanche, il n’y a pas d’adéquation entre l’enfant et sa mère, si une forme d’incompréhension ou d’incommunication s’installe, l’enfant est amené à s’adapter à la situation: il peut s’inhiber, alerter l’autre, par des symptômes psychosomatiques ou par des cris et des pleurs, du désarroi dans lequel il se trouve. Il peut aussi, finalement, se résoudre, dans le temps, à une adaptation forcée au comportement de l’adulte dont il dépend, se conformant à ce qui lui est demandé et se développant alors, comme l’a nommé D.W. Winnicott, en faux self.
Ce qui se joue dans la thérapie peut se positionner aussi à ce niveau-là.
C’est à la rencontre de cet «autre», bon, soutenant, dans la relation, dans l’interaction, que nous convie souvent inconsciemment le thérapisant. Car ce besoin d’interaction n’est pas limité à la petite enfance. L’adulte aussi conforte constamment dans sa vie courante la reconnaissance du fait d’exister dans l’interaction et l’intersubjectivité.
En thérapie a fortiori, il s’agit pour la personne d’interagir dans la relation, de percevoir la réaction du thérapeute aux messages qu’elle lui envoie, d’être reconnue par l’interaction, d’être comprise, respectée, soutenue.
Cela passe par exemple par la recherche du regard. De nombreux thérapisants recherchent souvent dès l’entrée dans le cabinet un contact par le regard. C’est bref, c’est furtif, mais c’est un élément fondamental de l’interaction qui se met en place dès que surgit le contact à l’autre, au thérapeute.
C’est une bonne interaction, une interaction effective qui est le moteur de la constitution du sujet, d’un véritable sujet, pas d’un faux self qui, lui, est le résultat de l’adaptation à une situation aliénante. C’est cela aussi qui nous est inconsciemment demandé: passer par l’interaction, par l’interactivité où sont envoyés et reçus des messages inconscients de reconnaissance du sujet dans la durée, et les cheminements nécessaires, pour qu’émergent l’assomption de la personne et l’éclosion de son identité incarnée.
L’ŒDIPE
Enfin, troisième étape de la constitution du sujet, vient l’œdipe. L’œdipe est pour moi une scénographie où se rejouent, à un âge différent et selon d’autres modalités, les premières motivations de la constitution du sujet: reconnaissance, attachement, identité. L’âge de l’œdipe va de 3 à 5ans. La situation œdipienne se trouve aussi généralement réactualisée au moment de l’adolescence: les investissements œdipiens sont alors ravivés offrant du coup, en thérapie, la possibilité de les reprendre, de les symboliser et de leur trouver des voies de résolution.
Je ne vais pas reprendre ici ce qu’est la structuration œdipienne, ni son importance dans la constitution de l’identité et de l’autonomie de la personne.
Comme pour l’attachement et l’interactivité, la problématique oedipienne continue d’être active dans ce que recherche l’adulte pour contacter et structurer au mieux son identité, sa force et sa créativité. Aussi, comme dans toute thérapie, ce sont aussi les enjeux œdipiens qui se rejouent dans la relation transférentielle en APO.
C’est sur ces trois piliers (processus d’attachement et de sécurité, interactivité-intersubjectivité, relation œdipienne) que pourra se construire la relation thérapeutique et, autour de ces trois axes, que pourront avoir lieu, éventuellement, dans le transfert, des processus de régression, de réparation et de transformation.
Le processus thérapeutique met donc en action diverses demandes, conscientes mais surtout inconscientes, qui cherchent à apparaître, à s’actualiser, à être reconnues et réparées dans le cadre de la relation thérapeutique. Il s’agit en thérapie d’être en contact avec ce qui est en mouvement et qui cherche dans la personne.
Une façon pour moi de contacter le processus thérapeutique consiste à me mettre à l’écoute de la voix intérieure du thérapisant qui cherche à s’exprimer, à se manifester au travers de ce qu’il dit verbalement et corporellement.
Il s’agit d’être en contact avec la partie cachée et d’aller à la rencontre des situations qui cristallisent les empêchements de «ce qui aurait dû être».
Pour soutenir ces émergences du désir et du conséquentiel, nous cherchons à étayer l’accès du patient à lui-même. Il s’agit d’utiliser toujours ce qui émerge.
Dans le cadre du processus thérapeutique, nous accordons beaucoup d’importance au besoin. Permettre au thérapisant de s’ouvrir à la question de son besoin du moment, dans la situation, est un point fondamental pour toucher le sujet existant et désirant. L’accès à ses besoins est souvent très enfoui pour le thérapisant en début de thérapie. C’est souvent le non-contact avec son besoin qui entretient la personne dans des conduites névrotiques de dépendance, et c’est souvent cela qui est à l’origine d’une thérapie. C’est comme s’il était facile de renoncer à son besoin pour satisfaire ce qu’on imagine que l’autre attend, ou pour faire face à une situation de manque. Aussi, il est logique que le contact avec le besoin soit difficile au début du processus thérapeutique. Contacter son besoin, c’est en effet déjà prendre une distance avec les exigences du surmoi, rompre avec des contrats souvent bien établis, accepter de regarder en direction de son désir et entrer dans une relation différente avec soi-même.
L’accent mis sur le besoin ne cherche pas à faire revivre le manque ni à stimuler la plainte. Il s’agit pour le thérapisant de contacter ce qui lui a manqué et ce qu’il attend de vivre pour déboucher sur une réparation possible.
Le processus thérapeutique est, en effet, guidé par le besoin de réparation d’endroits noués de l’histoire de la personne. Cette réparation a lieu grâce aux formes d’investissement transférentiel infantiles qui sont celles de ces moments et de cette période de son histoire.
Nous savons inconsciemment ce qui nous a arrêté dans notre développement. C’est à propos de ces situations-là que le thérapisant souhaite s’exprimer, être entendu et accompagné, et ce sont à ces endroits-là que mène la thérapie.
C’est la force de ce qui n’a pas été vécu dans ces situations qui les propulse sur la scène thérapeutique.
Pour autant, les situations ne sont pas travaillées, élaborées, vécues ou revécues directement, en une fois et de façon définitive. La plupart du temps, il s’agit d’une approche progressive, au fur et à mesure de l’installation d’une relation de confiance avec le thérapeute. Il faut du temps pour que le thérapisant sente que la relation de transfert offre la possibilité de revivre et traverser ce qui doit être revécu et traversé. Il faut le temps que les défenses du thérapisant s’atténuent par rapport à l’évocation et à l’investissement émotionnel des situations concernées. Il faut le temps d’accepter de contacter la violence souvent présente dans ces situations. Pour accepter aussi les conséquences que la prise de conscience de ces situations peut avoir pour le thérapisant dans sa vie actuelle. L’abord des situations par la personne elle-même se fait généralement par couches; à chaque passage, quelque chose de nouveau s’élabore, s’approfondit ou se découvre. La progression du processus thérapeutique ne se fait donc pas du tout en ligne droite mais de façon hélicoïdale, chaque nouveau passage apportant une plus grande prise de conscience, un plus grand élargissement des chaînes d’association.
Grâce à la reconnaissance de l’éprouvé, des affects, des émotions, des images, la clinique thérapeutique en APO cherche à favoriser la capacité de la personne à exprimer et symboliser ce qu’elle a ou n’a pas vécu. C’est à partir du contact avec ses éprouvés corporels et émotionnels et grâce au transfert que peut aboutir le processus thérapeutique.
Alors qu’est-ce que le transfert?
NOTES
1 – Des études menées (Lambert, 1992) sur l’efficacité des psychothérapies montrent que, toutes techniques confondues, les éléments améliorant la situation des personnes en psychothérapie sont :
– les facteurs concernant la relation au thérapeute comme l’écoute, l’empathie, la chaleur relationnelle, etc. à raison de 30 % ;
– les attentes du thérapisant concernant la thérapie qu’il entreprend, à raison de 15 % ;
– les facteurs techniques spécifiques de chaque thérapie, 15 % ;
– les facteurs extra-thérapeutiques propres au thérapisant et à son environnement, 40 %.
2 – Je reprends ici ce qu’Éric Champ appelle les « trois grands systèmes primaires de motivation ». Champ, 2012, p. 42.
3 – Boris Cyrulnik, qui a créé un département d’éthologie humaine àl’université de Toulon, décrit le modèle animal comme « pertinent, heuristique, non-pertinent et dangereux » (Cyrulnik, 2012) :
– pertinent :car nous avons les mêmes hormones, les mêmes structures archaïques du cerveau que les mammifères observés ;
– heuristique : du fait de la proximité de ce qui se passe chez certains animaux avec nos propres façons d’être et d’agir, le modèle animal pousse à chercher et à explorer des pistes ;
– non-pertinent : car une infinité d’éléments spécifient la particularité de l’homme. Par exemple, nous ne réagissons pas de la même façon à des substances identiques : la morphine qui nous euphorise, provoque des rages chez les souris. Il n’est pas possible d’extrapoler simplement d’une espèce à l’autre ;
– dangereux : ce qui est vrai chez l’animal ne l’est pas obligatoirement chez l’être humain, et il faut craindre une tendance trop rapide à l’assimilation des observations faites chez l’animal à l’espèce humaine.
4 – Voir les études de Michael Rutter (Rutter, 2002) ou celles de BorisCyrulnik (Ibid.).
5 – Il ne faut que quelques minutes de vie extra-utérine (8 minutes pour le plus rapide) pour qu’un bébé soit capable de tirer sa langue en imitation d’une personne qui tire sa langue devant lui. Ceci est extraordinaire et montre la puissance de l’interaction car il s’agit d’un mouvement contraire au mouvement naturel et réflexe à ce moment de sa vie qui est un mouvement du succion qui porte, à l’inverse, sa langue vers l’intérieur de sa bouche.
6 – Freud en parle pour la première fois lors du congrès de l’Association psychanalytique internationale de 1910 : « Notre attention s’est portée sur le “contre-transfert” qui s’établit chez le médecin par suite de l’influence qu’exerce le patient sur les sentiments inconscients de son analyste. » (Freud, 1910, p. 6)
7 – Je reprends bien sûr ici l’expression de W. D. Winnicott (Winnicott,1953).
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