Le deuil, quels tissages conscients et inconscients dans nos vies ?
Ouverture de l’Université de Printemps 2024 par les fondateurs, Eric Champ et les cogérants de l’EFAPO. Puis Jessica Holc, co-organisatrice de l’évènement avec Maud Castelli, a introduit le thème de cette année 2024 sur le deuil. L‘Ecole Française d’Analyse Psycho-Organique a ensuite accueilli trois conférencières de renom : Catherine Audibert, Marie-Lise Labonté et Marion Muller-Collard.
Les conférences
Le deuil se tisse avec la trame de notre histoire.
Je vais citer Catherine Audibert que nous aurons le plaisir d’écouter cet après-midi : « La perte d’un être aimé ne s’imprime pas sur une page vierge mais sur des pages parfois noircies de douleurs ineffacées ».
Alors, je vous livre tout d’abord une anecdote personnelle :
Il y a deux ans, lorsque nous avons proposé le thème de la mort et du deuil, nous avons commencé à envisager quels conférenciers seraient susceptibles d’intervenir lors de l’UP. Nous explorions, avec Maud, chacune de notre côté, quels psychothérapeutes, psychanalystes, philosophes, poètes, anthropologues etc. nous paraissaient les plus intéressants pour nourrir nos réflexions et nos pratiques de thérapeutes. La mort est entrée très tôt dans ma vie, alors j’ai pris l’habitude de dialoguer intérieurement avec les morts comme avec des vivants. Donc, tout à fait « logiquement », j’ai imaginé une tribune, là devant vous, où se succéderaient – ou mieux dialogueraient – Freud, Dolto, Jankelevitch, Jung, Aimé Césaire et Claude Levis-Strauss. J’étais curieuse de ce qu’ils auraient à nous dire et je le savourais d’avance. Je me suis aussi souvenue du séminaire de formation sur la mort avec Anne Fraisse, à qui j’aurais bien demandé qui elle aurait aimé entendre… et puis je suis revenue sur « terre ».
En tant que psychothérapeutes, accompagner le deuil est notre quotidien, car le deuil est pluriel, à plusieurs titres : parce qu’il se répète et parce que notre vie est jalonnée d’une multiplicité de deuils – le deuil des morts mais aussi le deuil de l’idéal de soi, le deuil de nos parents idéaux, les séparations amoureuses, les séparations amicales, les deuils d’un espace, d’une maison, les deuils d’une époque – la jeunesse, l’adolescence… Evoquer les deuils au pluriel nous rappelle aussi que chaque deuil est singulier, dans ses mots et dans ses silences, comme les processus des personnes que nous accompagnons. Vladimir Jankelevitch a écrit dans son livre sur La mort (puisqu’il ne peut être ici, je le cite 😉 : « Comme pour l’amour, chacun de ceux qui l’éprouvent a son témoignage inédit, son expérience sans précédent, sa contribution originale à apporter ».
Le deuil a aussi une dimension collective, culturelle, spirituelle et cultuelle. Si nous, thérapeutes, accompagnons la dimension intérieure du deuil, nous entendons également la dimension visible : les rites, les rituels, les « règles » religieuses ou culturelles, les croyances collectives et personnelles. Notre vision de la mort est très marquée aussi par notre culture et j’ai toujours été amusée par certaines expressions : les occidentaux disent « il a rendu l’âme », les indiens « il a quitté son corps » !
En parlant du corps, le deuil est une épreuve qui impacte l’endeuillé dans son corps. Dans le deuil, nous souffrons aussi de notre propre vulnérabilité et de notre finitude. L’Analyse Psycho-Organique cherche, par l’attention portée à l’éprouvé organique, à retisser à l’intérieur de chacun sa trame, à permettre de se sentir exister, de s’accommoder avec cette finitude et d’être en contact avec ses forces de vie et de renouvellement.
En tant que thérapeutes, nous passons donc beaucoup de temps à accompagner, au sens large, des deuils. Ceci nous oblige à explorer, tout au long de notre pratique, notre propre rapport à la mort et aux deuils. Alors, qu’est ce que « faire son deuil » ? Est-ce se débarrasser de ses morts comme le questionne Vinciane Desprets dans « Au bonheur des morts » ? Ne doit-on pas plutôt « Vivre avec nos morts » ? Comme l’a titré la rabbine Delphine Horvilleur qui nous rappelle que, dans l’ancien testament, l’après-vie se nomme le shéol, terme qui signifie « la question ». Quand on meurt, on tombe dans la question. Je vous laisse avec ses questions et bien d’autres autour de ce thème, sans finitude celui-là.
JH, 19 mai 2024
Catherine Audibert
A partir de la clinique et des écrits de personnes endeuillées, comment travaille la psyché dans le processus de deuil.
Psychologue clinicienne, psychanalyste et docteure en psychopathologie, Catherine Audibert est auteure de la thèse « L’incapacité d’être seul et les stratégies psychiques addictives inconscientes », elle a exercé en institution, en association et a été enseignante à Paris VII. Depuis plusieurs années, elle exerce uniquement en libéral en région parisienne. Elle est l’auteure de nombreuses publications : Le complexe de la marâtre, Payot, 2004, L’incapacité d’être seul, Payot, 2008, Abîmes adolescentes, Payot, 2012, Surmonter un chagrin d’amour, Leduc, 2017, Amour et crises dans la famille recomposée, Payot, 2019, Le temps de la perte, Albin Michel, 2021 ; Et des préfaces : Sandor Ferenczi – Sur les addictions, Petite Bibliothèque Payot 2008, Stefan Zweig – Brulant secret, Petite Bibliothèque Payot 2013, Donald W. Winnicott – La capacité d’être seul, Petite Bibliothèque Payot 2015.
Marie-Lise Labonté
Au-delà de la survie ou de « la vie qui continue » comment la perte d’un être cher peut être le point de départ d’un bouleversement profond et pousser la personne endeuillée à sortir de ses retranchements pour vivre sa vie autrement.
Marie-Lise Labonté est psychothérapeute, auteure, formatrice et conférencière internationale. Atteinte d’une maladie dite incurable, la polyarthrite rhumatoïde, à l’âge de 26 ans elle entreprend un travail psychocorporel et découvre une voie vers la guérison. En 1980, elle a créé une approche psycho-corporelle, la Méthode de libération des cuirasses. Elle est également co-créatrice avec Nicolas Bornemisza (psychanalyste jungien) de la méthode Images de transformation qui favorise le dialogue avec l’inconscient. En 2017, elle met en place l’École d’individuation qui offre différents programmes webinaires pour guider les personnes sur leur chemin d’individuation. Elle est l’auteure de nombreuses publications dont : Au cœur de notre corps. Se libérer de nos cuirasses, Edition de l’Homme, 2000, Le déclic. Transformer la douleur qui détruit en douleur qui guérit, Edition de l’Homme, 2004, Se guérir grâce à ses images intérieures, Albin Michel, 2006, Le point de rupture : comment les chocs d’une vie nous guident vers l’essentiel, Seuil, 2015, Traverser la nuit noire de l’âme, Guy Trédaniel, 2021.
Marion muller-colard
La mort des proches ouvre un espace intermédiaire qui bouscule toute chronologie et nous projette parfois dans un Zeitlos où la vie peine à suivre son cours. Que faire de ce temps dans lequel le temps ne passe plus ? Comment se séparer et rester en vie ? En quoi rester en vie implique précisément de consentir à la séparation ? Explorant à la fois des textes littéraires et des textes bibliques, Marion Muller-Colard tente de dessiner un chemin de mots possibles dans le chaos accidenté de nos pertes.
Marion Muller-Colard est théologienne protestante et écrivaine. Après l’obtention d’un doctorat à la faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg, elle a d’abord été aumônier des hôpitaux avant de se consacrer à l’écriture d’essais, de récits et de romans. Elle a été membre du Comité Consultatif National d’Éthique de 2017 à 2023 et membre de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise. Elle dirige aujourd’hui les éditions Labor et Fides et présente l’émission ÉCRITURE.S pour Présence protestante sur France 2. Elle est l’auteure de nombreux essais, romans et livres de jeunesse dont : L’Autre Dieu. La Plainte, la Menace et la Grâce, Genève, Labor et Fides, 2014, Le professeur Freud parle aux poissons, Les Petits Platons, 2014, L’éternité ainsi de suite, Genève, Labor et Fides & Paris, Bayard Culture, 2019, Wanted Louise, Gallimard, 2020, Les grandissants, Labor et Fides, 2021, La vie funambule, Bayard/Labor et Fides, 2023.
Nous les remercions chaleureusement pour leurs apports et les échanges fructueux qui s’en sont suivis.
Les soutenances de Mémoires Professionnels
La journée du samedi
La journée du samedi a été consacrée aux soutenances des mémoires professionnels. Les soutenances ont lieu en présence d’un jury composé de trois personnes : le Directeur de mémoire de l’EFAPO, un Analyste Psycho-Organique représentant de PSY APO, un représentant d’une autre école.
Titres des mémoires soutenus
- Devenir adulte. Proposition pour la psychothérapie des jeunes adultes en Analyse Psycho-Organique.
- L’En-je du Soi-nié. Entre emprise et différenciation : le moi en contr-addiction.
- A corps perdu. Une psychothérapie de la dissociation traumatique avec l’Analyse Psycho-Organique. Des mouvements trait d’union.
- Quelle écologie du sujet en Analyse Psycho-Organique ?
- Transgénérationnel et Analyse Psycho-Organique. Le fruit d’une alliance.
- Les conflits Psycho-organiques du désir – ou non – d’enfant. L’accompagnement des troubles périconceptionnels mal vécus IVG / PMA / FCM (Fausses Couches Multiples).
- Je sens, donc je suis.
Tous les étudiants ont été reçus, bravo à chacun ! La journée s’est terminée par un convivial « Cocktail des étudiants ». Le dimanche, s’est déroulée la Cérémonie de remise des certificats par Muriel Jan, Maud Castelli, Jessica Holc et l’équipe de formateurs de l’EFAPO.