Vivre à nouveau et réparer son processus de Naissance. Le processus de naissance en Analyse Psycho-Organique.

réparer son processus de naissance

Résumé:

Dans cet article, j’expose ce qu’est le «processus thérapeutique de naissance» en Analyse Psycho-Organique. Je définis les buts recherchés, les indications, et je donne des éléments sur la façon dont il se déroule.

Abstract:

In this article, I present the « therapeutic birth process »in Psycho-Organic Analysis. I define the objectives, the indications and I provide elements on the way it takes place.

Mots-clés: «Processus thérapeutique de naissance» en Analyse Psycho-Organique, Analyse Psycho-Organique.

Key words: “Therapeutic birth process” in Psycho-Organic Analysis, Psycho-Organic Analysis.

Le travail psychothérapeutique autour de la naissance est associé actuellement, dans le monde de la psychothérapie et auprès du grand public, à celui de «Rebirth».

Le «processus de naissance», tel que nous le concevons en Analyse Psycho-organique n’a rien à voir avec cette méthode initiée aux Etats-Unis dans les années 70 et il s’inscrit même dans une façon de faire et sur des fondements théoriques radicalement différents.

De quoi s’agit-il dans le rebirth?

La base du travail proposé dans cette technique est une hyperventilation thoracique[1] qui produit une forte augmentation du taux d’oxygène dans le sang. Cette hyper-oxygénation provoque d’importantes modifications des échanges gazeux sanguins[2], avec, bien-sûr, des conséquences cérébrales, notamment au niveau du cervelet. Les effets psychiques, et en particulier les modifications des perceptions sensorielles, qu’entraînent ces perturbations sanguines sont utilisés afin que la personne puisse se rapprocher de ses conditions de naissance, revivre d’éventuels éprouvés sensoriels de sa naissance, se libérer des expériences traumatiques supposées avoir eu lieu à ce moment-là, et amorcer ainsi un processus de guérison. Le postulat théorique est, en effet ici, la thèse d’un traumatisme de la naissance que nous aurions tous vécu.

En Analyse Psycho-organique nous nous positionnons de façon radicalement différente, puisque nous nous situons au plus près du fonctionnement physiologique, c’est-à-dire «normal», de l’être humain. Il n’y a donc pas de recherche d’une transformation des conditions physiologiques pour la personne qui revisite le moment de sa naissance, ou plutôt de l’ensemble de son processus de naissance, mais, au contraire, une approche la plus fine possible de son ressenti naturel durant ce processus. C’est le fonctionnement normal de la personne humaine qui nous intéresse, et c’est lui que nous cherchons à contacter, de façon à permettre au thérapisant de vivre ce qu’il n’a pas pleinement vécu.

Je ne crois pas, par ailleurs, à l’hypothèse d’un traumatisme systématique majeur au moment de la naissance pour chacun de nous, comme l’a avancé, le premier, O. Rank. Il m’est difficile de concevoir que le génie de l’évolution dont on voit partout les réalisations dans la perfection du corps humain comme des autres créatures vivantes, aurait laissé s’instaurer un trauma systématique au moment de l’entrée du petit humain dans sa vie extra-utérine. Je crois, au contraire, que l’être humain est parfaitement adapté, de façon naturelle, à ce qui lui arrive au moment de sa naissance et notre objectif thérapeutique est précisément de dégager ce comportement naturel de ce qui a pu en entraver le plein épanouissement.

Paul Boyesen a d’emblée introduit le travail de processus de naissance comme ne concernant pas uniquement le moment du «passage» de la naissance proprement dit, mais plus globalement comme un processus continu qui va de la conception de l’enfant par ses parents jusqu’à l’accueil après la naissance.

Il arrive que la pleine advenue de ce processus se trouve entravée: grossesse difficile pour de multiples raisons, angoisse ou dépression de la maman, absence du papa, ambiance où l’enfant n’est pas désiré, pas attendu, accouchement programmé, circulaire du cordon, césarienne, etc.

Nous constatons que lorsque le processus de naissance n’a pas pu se vivre de façon suffisamment complète, que le vécu intra-utérin et la naissance elle-même n’ont pas été suffisamment satisfaisants, assez nourrissants pour le bébé, cette situation laisse des manques, des privations, une carence qui peuvent continuer d’avoir des échos une fois ce bébé devenu un adulte.

C’est donc le processus naturel de la naissance que nous cherchons à faire advenir d’un point de vue thérapeutique, car c’est de cette naissance normale, la plus pleine, la plus accomplie possible dont nous étions tous en attente.

Ce travail peut être considéré comme typique de notre méthode thérapeutique. Il s’opère à partir de trois conceptions majeures en Analyse Psycho-organique : le travail à l’intérieur des situations, l’Impulse primaire et le conséquentiel.

L’importance des situations :

Nous savons que ce sont des situations qui ont forgé notre vie. Ces sont des situations que nous vivons qui la forgent encore. C’est au cœur de situations que nous nous développons, c’est à l’intérieur de situations, avec leurs aléas, qu’advient notre identité. «L’inconscient est situationnel» dit Paul Boyesen (Boyesen, 1992, p.11). Notre inconscient est habité de situations que nous avons vécues, mais aussi de celles que nous aurions aimé vivre et que nous n’avons pas vécues. C’est cet ensemble qui conditionne ce que nous vivons actuellement.

La globalité de notre processus de naissance est bien sûr une situation fondamentale pour chacun d’entre nous. Certaines choses se sont bien passées dans cette situation, d’autres peut-être pas. D’autres encore n’ont pas eu lieu alors que nous étions préparés biologiquement pour les vivre et donc en attente de les vivre. C’est au cœur de situations que nous travaillons en Analyse Psycho-Organique.

Si l’on ne peut changer les situations du passé, on peut modifier le vécu que nous en avons et donc l’influence qu’elles ont encore sur nous. Le processus de naissance s’inscrit dans ce cadre.

L’Impulse primaire et le conséquentiel :

L’Analyse Psycho-Organique est une psychothérapie à processus. Cela signifie que nous faisons confiance au thérapisant pour actualiser, durant les séances et dans le transfert, les situations qui lui sont problématiques et qu’il souhaite résoudre.

Cette façon de faire confiance au thérapisant signifie que nous croyons en un noyau sain en toute personne, qui cherche à se réaliser le plus totalement possible. Cela s’inscrit pour nous dans un mouvement puissant que nous appelons l’Impulse primaire.

Voici une façon de l’illustrer et de le définir :

Un bébé à sa naissance attend de vivre un certain nombre de choses: de même qu’il est prêt pour la respiration atmosphérique, prêt pour téter le sein de sa mère et digérer son lait, pour réguler sa température corporelle par rapport à celle du monde dans lequel il arrive, de même il attend de décider du moment de sa naissance[3], de vivre la recherche du passage en fouissant de sa tête, de participer activement à sa sortie de l’utérus en poussant notamment de toute sa force sur l’intérieur du sacrum de sa mère, de sentir le passage lui-même, d’être accueilli, nourri, soutenu, reconnu, choyé et aimé.

Le besoin, inscrit en nous, de vivre ce qui nous permet de nous développer et de devenir le plus possible nous-mêmes, c’est cela l’Impulse primaire.

Cet Impulse se trouve confronté à la réalité. Le processus de naissance, par exemple, peut être contré par un ensemble d’évènements. Le fœtus a-t-il la possibilité de vivre tranquillement son développement dans l’utérus? Peut-il agir sa naissance?

Une fois né, avec tout son potentiel, le bébé arrive dans un contexte, plus ou moins favorable à son épanouissement. Est-il l’enfant attendu dont on s’occupera avec amour et qui trouvera d’emblée sa place? N’est-il pas si attendu que cela ou même pas attendu du tout? Est-il vécu comme une charge? Ses attentes ne seront alors peut-être pas si facilement satisfaites, voire pas satisfaites du tout. Les situations réelles permettent, en effet, une plus ou moins grande réalisation de l’Impulse. Son accomplissement rencontre des obstacles, des empêchements concrets, matériels, dus à l’endroit, à la culture, à la période où l’on vit et qui ne rendent pas possible la pleine réalisation de soi. D’autres entraves sont issues de problématiques relationnelles: la névrose familiale, par exemple, qui assigne chacun à une certaine place, contraint la personne, limite sa liberté d’évolution.

Les difficultés produites par la structure familiale, les mouvements inconscients projetés sur la personne, les contrats de loyauté dans lesquels le thérapisant est pris consciemment ou inconsciemment sont des éléments sur lesquels le processus thérapeutique peut agir et libérer ainsi la réalisation de l’Impulse.

Il se trouve, en effet, que la part d’Impulse non-vécue demeure toujours en attente de s’accomplir. C’est normal, nous gardons constamment en nous le désir de nous réaliser de la façon la plus complète possible.

L’enfant qui n’a pas été suffisamment aimé, considéré, soutenu garde en lui, même devenu adulte, ces attentes vivantes, plus ou moins enfouies. C’est cela qui motive fondamentalement le processus thérapeutique et fait qu’il fonctionne. Ces parties non-vécues de l’Impulse, empêchées, ces parties vivantes et pleines d’énergie qui demeurent en attente, nous l’appelons le conséquentiel.

Tout au long de sa vie, l’être humain est confronté au conséquentiel. Tout être vivant, une plante, un arbre par exemple, aspire à se développer au mieux. Chacun peut observer comment un arbre dans la forêt ou dans la ville, cherche à s’enraciner le mieux possible, il contourne des obstacles parfois, il se tord ou grandit pour obtenir le maximum de lumière. Un arbre a une capacité d’adaptation afin de vivre et de se développer au maximum. Durant toute son existence, la personne humaine cherche aussi constamment à se réaliser le plus possible, à développer ses talents, ses désirs, à satisfaire ses besoins, ses capacités, à incarner ce pour quoi elle a le sentiment d’être faite. Le conséquentiel est le non-vécu qui attend d’être vécu.

Une autre façon encore de le définir est de dire que le conséquentiel est ce qui produit la grande souffrance que ressent l’individu lorsqu’il ne peut pas accomplir ce qu’il désire et qu’il veut réaliser. Cette douleur peut être très intense, elle résulte de l’incomplétude de la réalisation de sa propre subjectivité[4].

Le conséquentiel est comme une tête chercheuse, mue par l’énergie de vie, qui s’ingénie à ce que l’être, dès que cela est possible, puisse se réaliser. On comprend ainsi que dans le processus thérapeutique nous accompagnions le patient dans ce mouvement naturel de sa réalisation. Ce mouvement passe par la réparation d’un certain nombre d’étapes ou de situations de sa vie qui ont inhibé, bloqué, rendu impossible cette réalisation.

Je parle ici de mouvement naturel car l’expérience thérapeutique montre que nous savons inconsciemment ce qui nous a arrêté dans notre développement. Notre être entier sait ce qui lui a manqué. Nous connaissons les endroits qu’il nous faut revisiter (il s’agit d’une connaissance essentiellement inconsciente), là où nous devons rejouer les choses, les situations où nous n’avons pas été suffisamment accompagnés, où des propositions de développement ne nous ont pas été faites et que nous souhaitons réparer ou développer pour une plus grande complétude de nous-même. Le processus thérapeutique est mu fondamentalement par le besoin de la personne de repasser par différentes étapes et situations de son histoire. En reprenant ce qui s’est passé ou ce qui ne s’est pas passé pour elle à ces moments-là, la personne libère le cours de ce qu’elle attend, de ce qu’elle veut vivre et peut alors relancer dans la réalité des éléments de son évolution.

 

En Analyse Psycho-Organique, nous suivons donc le cheminement du thérapisant, sans le précéder, sans savoir pour lui, sans savoir où il va aller, sans le mener là où nous souhaiterions qu’il aille et de la façon dont nous souhaiterions qu’il y aille: c’est la personne elle-même qui s’oriente inconsciemment vers ce dont elle a besoin.

Le travail thérapeutique du processus de naissance se fait le plus souvent en groupe. Il peut aussi avoir lieu, avec des aménagements, en thérapie individuelle.

Le groupe va constituer la matrice qui accueillera puis permettra au bébé de se développer. Dans ce groupe, des participants sont choisis par la personne qui va vivre son processus de naissance pour personnaliser sa mère, son père, quelqu’un qui l’aidera au moment de la naissance en offrant un appui aux pieds de ce fœtus, une autre encore sera amenée à gérer le passage proprement dit de la naissance.

Nous instaurons en fait, pour le thérapisant, la possibilité de vivre son processus de naissance tel qu’il aurait pu ou dû être.

Dans ce travail thérapeutique, nous ne faisons que recréer les conditions qui permettent au corps et à la personne entière de se réparer, de réparer et de transformer ce qui a été mal vécu ou pas du tout vécu par elle.

C’est que, mis en situation, et tout l’art du travail du thérapeute est de réaliser une mise en situation la plus adéquate possible, nous avons tous une grande capacité à régresser, de façon très juste (comme si nous n’attendions que cela, en fait), cherchant précisément et souvent inconsciemment à nous réparer, c’est-à-dire à pouvoir vivre ce que nous n’avons pas vécu:

– se sentir «accompagné» durant cette gestation par exemple: sentir que dans la matrice on est en contact avec une mère déjà attentive et aimante, et aussi, on l’oublie parfois, en contact avec la présence du père, avec le son de sa voix, avec sa présence effective et déjà très précise et spécifique.

– avoir le temps de se développer dans la matrice, aller au bout de cette maturation.

– avoir le temps de sentir son désir de naître (lorsque l’on est né par un accouchement «programmé» ou d’une maman angoissée, pressée, mal dans sa grossesse).

– bien sentir sa force au moment de sa naissance.

– bien sentir le passage de la naissance elle-même (cela est toujours profondément transformateur et réparateur pour ceux qui sont nés par césarienne et n’ont pu ressentir leur force et l’aboutissement de l’issue de ce passage).

– vivre le bonheur du contact avec une mère aimante, attentionnée et très présente, entendre la voix et ressentir la présence d’un père accueillant, goûter le contact avec eux.

Je suis née par césarienne, je n’ai pas réussi à naître toute seule, dit une participante. Est-ce en rapport avec le fait que dans ma vie, les choses se sont présentées à moi, que je les ai prises au vol mais sans avoir l’initiative?Mon mari m’a choisie, dans ma vie professionnelle j’ai accepté les postes que l’on m’a proposés. Je commence à me questionner sur mes renoncements. Comment aujourd’hui oser faire des choix, dire «je», décider?

Après cette césarienne, j’ai passé la première nuit en couveuse. A quel moment et comment nous sommes nous retrouvées, rencontrées, ma mère et moi?

         

Pour nous, le processus de naissance débute avant même la conception. Cela peut sembler curieux, et peut-être même ésotérique, pourtant, mis en situation, beaucoup d’entre nous ressentons parfaitement le moment où nous sommes en attente d’être conçus. Le oui à la conception est ce qui inscrit définitivement le flux de la vie en nous, le flux de cette force qui nous dépasse et dont nous sommes un maillon.

Cette acceptation ou ce désir d’être conçu est souvent un moment très fort du processus.

L’incarnation est le moment de la rencontre avec la matière. Ici aussi un grand «oui» est nécessaire pour accepter de devenir cet œuf constitué à partir de cet ovule et de ce spermatozoïde, avec leurs potentiels, avec leurs histoires. C’est le plaisir d’intégrer un corps physique mais c’est aussi la dépendance à la réalité, réalité de ce corps-là, de cet utérus-là. Une réalité où d’emblée on doit faire avec l’autre.

Lorsque la personne dit «oui» à l’incarnation, elle se tourne en position fœtale sur le côté gauche et le travail de la matrice commence alors.

Après la conception et l’incarnation, vient le temps de la gestation proprement dite, ce que nous appelons le «mouvement»: mouvement des cellules qui se multiplient et se développent, mouvement aussi du fœtus dans la matrice maternelle.

Le groupe est là, extrêmement vigilant, soudé dans la perception de ce qui a lieu, les participants très «ouverts» pourrait-on dire, c’est-à-dire très disponibles à ce qui se passe pour le fœtus, très attentifs aussi à leurs propres perceptions et sensations. Les membres du groupe, aidés du thérapeute, sont totalement présents, ancrés en eux-mêmes, à l’écoute de l’opportunité d’éventuelles interventions, de ce qui peut être fait, peut être dit, pour permettre l’éclosion la plus simple, la plus juste, la plus belle de ce bébé.

Que se passe-t-il pour ce fœtus? C’est le moment où l’on peut ressentir la paix de ce qui se passe là, la vie tranquillement nécessaire, dans l’attention, l’adéquation de la matrice. Cela peut être un moment d’intense repos, d’abandon à la vie qui opère en soi. C’est le temps de l’éclosion progressive des sensations, des premières explorations, des proto-formes des représentations de soi. C’est généralement un temps d’intenses émotions, de grands mouvements parfois, d’un fœtus qui semble explorer ou chercher son espace, et que la matrice accompagne. Le «mouvement» est le moment du développement et de l’éclosion.

– J’étais en repos. Je me sentais complètement avec moi-même, n’ayant rien à faire, rien envie de faire, juste sentir la vie en moi dans ce milieu protégé, dans une durée dont je n’avais aucune idée, juste me sentir exister moi-même, un peu comme avant de m’endormir mais sans du tout la présence du sommeil, exister dans mon corps, et dans mes sensations, comme si le corps et l’esprit étaient confondus.

– C’était un grand plaisir, comme d’être arrivé quelque part et de s’y sentir totalement bien.

– Pour moi, c’était la connexion à l’Etre intérieur sur lequel j’ai tant lu.

– J’ai recontacté quelque chose qui a été carapacé.

Puis vient la naissance elle-même, ce que nous appelons le «passage»:

 Je me souviens très consciemment de ce moment où mon corps s’est à la fois éloigné du passage et en même temps a pris son élan, ultime instant d’hésitation, suspendu entre deux mondes. LE moment, où tout pouvait arriver.

– Une image très précise dans ma tête: leurs mains sur mon sacrum comme la ligne de départ pour des coureurs, comme des starting-blocks, ma ligne de départ à moi, pour toujours le repère et le point d’appui qui me manquaient pour cette vie-là.

– Ce que j’ai ressenti: des mains posées sur le bas de mon dos, comme si tous les membres de la matrice s’étaient regroupés là, et un formidable élan – non pas comme s’ils me poussaient, mais comme si je trouvais l’appui qui me manquait. Et un passage à la fois dense et fluide. Et une paix profonde, immédiate.

Le «passage» est la naissance proprement dite.

Sentir que l’on ne peut plus rester dans la matrice, sentir que le temps est arrivé où autre chose doit se produire, va se produire. Une chose que l’on ne connaît pas. Une chose que l’on ne connaît pas mais qui, en même temps, dépend de nous. Nous sommes, par notre seul instinct, à l’origine d’une évolution que l’on ne connaît pas. Simplement parce que la situation actuelle dans la matrice n’est plus tenable. Sentir sa détermination à ce moment-là, puis sa force, sa force associée à sa volonté, son courage de se lancer dans l’inconnu sans nom, sans représentation. Aller vers quelque chose qu’il faut forcer, sans savoir ce que c’est. S’engager sans aucune connaissance, ni percevoir l’issue. Y a-t-il une issue? Cela mène-t-il quelque part?

Et puis vient le passage: chercher et trouver l’issue, participer de toute sa force, de toute sa souplesse aussi, en s’ouvrant à l’instinct qui mobilise les capacités de notre corps dans cette situation. Le visage qui affronte l’obstacle et l’inconnu, qui laisse faire et espère.

Et le plaisir de sentir l’air libre sur sa peau, la surprise, sentir la fin de cette compression et l’aboutissement de ses efforts. Sentir cette transition radicale, j’étais dedans, je suis dehors. J’étais entouré, je suis dans l’espace sans contours. Sans contours et sans limites.

– C’était une sensation extraordinaire de ressentir comment je n’avais plus de place dans cet utérus, comment il fallait qu’il se passe quelque chose alors que je n’avais aucune idée de ce qui pouvait se passer. Quelque chose devait arriver, car ce n’était plus possible cet étouffement, cette compression, et en même temps je n’avais aucune idée de la solution.

Et puis il y a eu un mouvement réflexe qui est apparu: je me suis retourné, j’ai senti ma tête qui fouissait, avec force, avec ardeur, j’ai senti comment mon corps se tendait, tout allongé en poussant avec les pieds, c’était extraordinaire, sentir qu’il y a quelque chose d’adapté au niveau de la tête, et qu’on peut y aller, quelque chose, une ouverture, qu’il faut franchir, forcer, mais qui s’ouvre en même temps, qui accepte, qui accueille mon mouvement, ma volonté de changer la situation.

Puis vient l’accueil par les parents.

Alors que je suis encore dans l’effort et abasourdi par ce qui se produit, l’autre est là, qui vient à ma rencontre et s’occupe de moi. Il crée un nouveau contour et me soutient, par sa présence physique, par sa voix, par l’attention qu’il me porte.

Dans ce processus de naissance, un des points fondamentaux de réparation est la façon dont la personne est accueillie au moment de sa naissance.

De l’autre côté du passage, il y a nos parents. Nos parents qui sont là, emplis d’amour et de joie pour accueillir leur enfant qui vient de naître. Est-il nécessaire ici de développer ce que peuvent avoir de réparateur la joie d’être choyé par des parents aimants, de ressentir ce qui passe par les mots prononcés, le pétillement de nos sensations corporelles quand, à l’aboutissement de ce processus, l’on vit le réconfort et la tranquillité fondamentale d’être arrivé, d’être arrivé quelque part, d’y être attendu, d’y avoir sa place?

– L’accueil de mes «parents» a été un temps fort. J’ai pu m’abandonner dans les bras de ma mère et de mon père. Et ce don m’a permis de vivre cet amour que je n’avais pas pu obtenir de ma mère réelle.

– Ce qui s’est passé a réparé la sortie, le calme a compensé le stress de la réalité de ma naissance.

– Temps d’accueil – temps de pause – temps d’intégration de ce moment incroyable. Cette nouvelle naissance s’enracine dans mon être, et devient MA naissance, pour toujours. Quelque chose s’est réparé, j’ai réparé quelque chose, avec leur aide.

Beaucoup d’autres éléments interviennent pour chaque participant. Il y a ce que l’on vit au moment du processus de sa propre naissance, mais il y a aussi ce que l’on vit quand on est choisi pour occuper les différentes places dans le processus: père, mère, appui des pieds etc. Dans ces différentes fonctions, les thérapisants vivent aussi des moments très forts émotionnellement, qui ouvrent sur la sensibilité, l’attention, la force de la présence à l’autre, l’intuition.

– Dans le rôle de la mère, j’ai apaisé cette peur d’être comme ma mère, de ne pas réussir à m’occuper de l’autre, peur de ne pas savoir comment gérer ça.

Je ne développe pas dans cet article tout un ensemble de façons de faire qui accompagne et permet le déroulement de ce processus de naissanceet l’élaboration de ce qui est vécu par le thérapisant : le vécu d’un grand rêve éveillé notamment qui instaure ce travail et ouvre aux dimensions émotionnelles et inconscientes du processus.

A l’issue de ce rêve éveillé le thérapisant évoque un «contrat de naissance», avant le travail dans la matrice, qu’il mettra en regard de son contrat à la fin du processus, après que cette expérience réparatrice ait eu lieu. Notre travail est en effet structuré de façon à ce que puissent s’inscrire et faire sens les changements qui ont eu lieu pour le thérapisant.

Les raisons de travailler son processus de naissance sont multiples: bien des comportements, tout particulièrement des inhibitions et des empêchements à l’âge adulte, peuvent être en relation avec ces expériences toutes premières.

Ce travail de naissance peut avoir lieu en stages spécifiques, généralement conjointement à un travail psychothérapique en cours. Je me souviens de tel homme qui s’inscrit pour ce travail avec le désir de s’ouvrir à ses émotions. Telle femme qui vient avec son désir d’avoir des enfants et qui sent que des résistances se nichent dans ce qu’elle a vécu lors de sa propre naissance. De fait, elle réalisera avec succès une fécondation in vitro avec son mari ultérieurement. D’autres viennent pour mieux trouver leur place aujourd’hui, en famille, professionnellement, en société. Quelqu’un est venu pour développer sa capacité de s’exprimer. Souvent les demandes concernent des arrivées dans la vie sans affection, des grossesses non désirées, des grossesses vécues dans l’inquiétude, la préoccupation, la toxicité, l’angoisse. Souvent aussi, je l’ai déjà souligné, cela concerne des vécus de naissance programmée, de césarienne, de circulaire du cordon.

Toujours il s’agit de réparer des parties de nous, de notre développement qui ont besoin de l’être et de faire vivre des parts enfouies en nous, que notre histoire n’a pas permis d’exister pleinement.

Notre travail permet d’aller en-deçà de la mémoire consciente. Notre action thérapeutique se produit clairement en deçà du souvenir, avant le langage, au moment où les choses s’inscrivent dans le corps. C’est le corps qui se souvient de ces moments-là et c’est jusqu’à ce niveau que la régression induite par le processus thérapeutique permet de descendre et de travailler.

Mesure-t-on d’ailleurs la chance que nous avons, adultes, de pouvoir réparer de telles parties de notre histoire? Nous avons la possibilité de changer, de transformer ce qui demeure en nous de préjudiciable à notre évolution et qui a eu lieu lors de notre processus de naissance. L’adulte, avec l’appui de quelques autres personnes, peut se réparer lui-même. Formidable!

Les bénéfices du travail de naissance s’observent souvent sur des mois et même des années après le processus lui-même.

Voici des exemples de phrases prononcées à l’issue de ces stages, lors du partage où chacun s’exprime à propos de ce qu’il a vécu:

– Maintenant je sais d’où je pars et je peux dire «Je».

– J’ai contacté ma force et ma capacité à agir.

– La richesse du contact physique avec les autres, on faisait un.

– J’ai pu «revivre» des passagesdifficiles : un tunnel noir, la peur de l’absence de mon père. En contrepartie, j’avais une forte détermination à naître.

– C’est magnifique de pouvoir réparer maintenant des choses de notre enfance, de notre petite enfance et même au-delà jusqu’à la vie intra-utérine. Quelle formidable liberté de pouvoir faire cela.

– Je me sens bien plus solide. Je sais que je peux m’appuyer sur ma force calme.

– Je sens que ma mère aura moins d’impact sur moi. J’ai pris du recul. J’ai comblé un manque qui faisait que j’avais toujours besoin d’affection par rapport à elle

– Une grande légèreté, une joie, comme un jaillissement. Une expansion.

– L’amour est un échange.

– Mon émotion est remontée à la surface,  progressivement.

– Ce matin j’ai l’impression d’être plus solide, plus stable quand je me tiens debout, plus affirmé.

– Je sens une confiance en moi, surtout dans mes mouvements, mais aussi dans mes actes, dans ma parole.

– J’ai l’impression que ma respiration est plus basse qu’avant.

– J’ai connecté ma force.

L’être intérieur abstrait, il s’est concrétisé là. Là, je l’ai connecté physiquement. Cette présence a pris forme et sens.

– Incarner une partie qui n’était pas là.

– Qu’est-ce que je fais de ma vie?

[1] Il s’agit de respirer très amplement par la bouche, pendant des durées pouvant aller jusqu’à une heure, sans s’arrêter ni effectuer de pause entre l’inspiration et l’expiration.

[2] Induisant notamment une forte augmentation du PH sanguin et une alcalose respiratoire.

[3] On sait maintenant que c’est le fœtus qui décide du moment de sa naissance: l’hypophyse du fœtus, au moment opportun, sécrète de l’ocytocine, laquelle amène le placenta à produire des prostaglandines. Ces prostaglandines vont accentuer les contractions du myomètre et déclencher l’accouchement. Dans le même temps, la neurohypophyse de la maman libère alors elle aussi de l’ocytocine et ce sont ces fortes concentrations d’ocytocine et de prostaglandines qui vont déclencher les contractions rythmiques du travail proprement dit.

[4] Jung, à sa façon, l’avait bien vu lorsqu’il écrit: «La vie non-vécue est une maladie dont on peut mourir» (Jung, 1961).

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[1] Il s’agit de respirer très amplement par la bouche, pendant des durées pouvant aller jusqu’à une heure, sans s’arrêter ni effectuer de pause entre l’inspiration et l’expiration.

[2] Induisant notamment une forte augmentation du PH sanguin et une alcalose respiratoire.

[3] On sait maintenant que c’est le fœtus qui décide du moment de sa naissance: l’hypophyse du fœtus, au moment opportun, sécrète de l’ocytocine, laquelle amène le placenta à produire des prostaglandines. Ces prostaglandines vont accentuer les contractions du myomètre et déclencher l’accouchement. Dans le même temps, la neurohypophyse de la maman libère alors elle aussi de l’ocytocine et ce sont ces fortes concentrations d’ocytocine et de prostaglandines qui vont déclencher les contractions rythmiques du travail proprement dit.

[4] Jung, à sa façon, l’avait bien vu lorsqu’il écrit: «La vie non-vécue est une maladie dont on peut mourir» (Jung, 1961).

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