Retisser les liens corps-esprit

A l’heure de la montée en puissance des intelligences artificielles ou bien de l’embauche de 10.000 personnes par le groupe qui détient Facebook pour créer un métavers, univers visant à dématérialiser nos échanges physiques, on peut se demander à quoi servira bientôt d’avoir un corps et un esprit ? Réconcilier le corps et l’esprit, c’est un projet plus silencieux, moins coûteux mais tout aussi spectaculaire qu’entreprennent les personnes qui font un chemin vers elles-mêmes en psychothérapie.

VIVRE A COTE DE SON CORPS : UNE REALITE LARGEMENT PARTAGEE

Le corps et l’esprit ne sont pas séparés. Dans de nombreuses cultures et langues traditionnelles, il n’y a qu’un seul mot pour désigner le corps et l’esprit. Comme le montre Marc Tocquet dans son livre Je suis un corps qui pense, l’être humain est cette unité psycho-organique. Un esprit sans corps n’existe pas d’un point de vue scientifique, ou bien alors, c’est un esprit, au sens spirituel du terme. Un corps n’existe pas sans esprit, ou bien alors, c’est un cadavre. Si une personne est vivante, c’est bien qu’elle a un corps ET un esprit.

Pourtant, nous sommes nombreux à créer une distance avec nos sensations corporelles et nos émotions. Notre culture occidentale fait primer le mental, le concept et le raisonnement logique. Dans le langage, nous les séparons souvent : « mon corps ne m’obéit plus », « c’est psychologique » ou « c’est somatique ». « Mon corps » est tantôt considéré comme un objet à façonner, un outil qui doit m’obéir, un taxi qui me transporte, une source de problèmes et de douleurs… Il est perçu comme un objet séparé de moi qui doit corresponde à un idéal de beauté, de bonne santé, de forme physique ou de bien-être.

Cette déconnexion avec nos sensations corporelles et nos ressentis émotionnels engendre beaucoup de souffrance, celle de nous-même à distance de notre vérité d’être. Quoi qu’en dise notre mental, si une situation ne nous convient pas, notre corps va nous le faire sentir. Les maux corporels sont un moyen d’exprimer ce que nous ne pouvons pas exprimer consciemment par des mots. Il est très fatigant de vivre à côté de son corps. Beaucoup d’énergie inutile est dépensée par les ruminations de notre mental. Au quotidien, il est courant de ne pas sentir les signaux que nous envoie notre corps. A qui n’est-ce jamais arrivé de manger sans avoir faim ou d’ignorer une sensation de fatigue ? Cette déconnexion est bien sûr favorisée par la frénésie de nos modes de vie et elle s’enracine aussi dans des blessures ou des traumatismes vécus dans l’enfance. La coupure avec les sensations corporelles est une réponse psychique, efficace mais coûteuse, pour ne pas sentir ce qui est douloureux. A des degrés différents et selon les situations, nous avons ainsi tendance à nous couper de notre corps et de nous-mêmes.

LE CORPS, LIEU DE MEMOIRE ET DE TRANSFORMATION

Le corps est le lieu de la transformation et de la connexion à soi. Les neurosciences rejoignent ici les observations faites par les différentes méthodes thérapeutiques psychocorporelles. Les travaux du professeur en neurosciences et psychologie, Antonio Damasio, montrent que les sensations corporelles sont à la base de notre perception du monde, avant qu’émergent le sentiment et la pensée. Notre corps est le réceptacle et la mémoire de l’expérience que nous faisons du monde qui nous entoure. Il garde en mémoire notre histoire, même si aucun souvenir conscient n’est possible. C’est, par exemple, le cas du bébé qui peut garder dans sa mémoire corporelle une expérience traumatique vécue même in utero. Ce n’est ensuite qu’en passant par les sensations corporelles qu’elle pourra se traverser et se transformer.

Le psychanalyste Donald W. Winnicott a souligné l’importance des soins corporels accordés au bébé dans la construction de son vrai self, c’est-à-dire d’une manière vraie d’être soi. Françoise Dolto, parle d’une image inconscience du corps comme du socle de la construction de notre identité. Autrement dit, c’est à partir de nos sensations corporelles que nous avons le sentiment d’exister. Ce n’est donc qu’en passant par le corps que nous pouvons faire émerger qui nous sommes vraiment, lors d’un travail en psychothérapie.

Le corps est aussi la voie unique pour défaire les traumatismes. Le psychothérapeute Bessel Van Der Kolk, spécialiste du traumatisme, décrit dans son livre Le corps n’oublie rien, la manière dont il travaille pour rééduquer les patients traumatisés à ressentir à nouveau leurs sensations corporelles desquelles ils se sont coupés du fait du traumatisme. On peut également citer les travaux psychocorporels de Reich avec les cuirasses, ces protections corporelles et psychologiques qui enferment des émotions refoulées, des images ou des souvenirs. Notre corps peut refouler inconsciemment des conflits psychiques.

L’Analyse Psycho-Organique travaille à l’union du corps et de l’esprit, en considérant l’être humain dans son unité psycho-organique. En reprenant des éléments des différentes approches psychanalytiques, psychocorporelles, humanistes et existentielles, elle n’oppose pas le travail de mise en sens et de mise en mots et le travail avec les sensations corporelles ou les émotions. A travers des outils originaux, l’attitude et la présence de l’analyste psycho-organique, la personne est accompagnée pour se reconnecter à son corps et à sa vérité.

COMMENT TRAVAILLE-T-ON AVEC LE CORPS EN APO ?

Le corps est présent de multiples façons dans une séance en Analyse Psycho-Organique. Dans la topique de l’Analyse Psycho-Organique, la Connexion Organique fait le pont entre le Concept (pensée, logique, raisonnement) et l’Organique Profond (notre vie viscérale et organique). La Connexion Organique c’est le lieu de la perception corporelle, de l’émotion et du sentiment. L’analyste psycho-organique favorise l’accès cette connexion afin de relier les différentes parties de l’être, son corps, son cœur, son esprit. De quelle manière ?

Au début d’une séance, un temps pour sentir est souvent proposé. La position allongée est privilégiée pour plonger dans les sensations du moment. « Je ferme les yeux pour voir », disait le peintre Paul Gauguin. Sentir, ce qui se passe, dans l’instant. C’est la première invitation du thérapeute à son thérapisant. Cela peut paraître assez simple. C’est très puissant car cela permet que la thérapie ne se déroule pas qu’au niveau de l’analyse et du concept. Mais que l’exploration puisse se faire à tous les niveaux de l’être, de la tête au pied, en passant par le cœur.

L’analyste psycho-organique invite son thérapisant à écouter ce qui se passe dans son corps, dans la qualité de son expérience immédiate. Pour cela, il peut inviter à la détente corporelle et peut utiliser la respiration. L’exploration des rêves nocturnes ou la proposition de rêves éveillés sont aussi l’occasion d’habiter cet espace de connexion entre la vie organique et la pensée.

L’analyste psycho-organique porte une attention particulière à l’écoute du corps ; celui du thérapisant qui, dans sa posture, ses gestes, ses mouvements, ses manifestations somatiques, exprime ce qui ne se dit pas par des mots. Mais aussi son propre corps de thérapeute, qui ressent dans un contre-transfert organique, des sensations lui indiquant ce qui se joue dans la relation thérapeutique.

En invitant les personnes à faire venir des images, l’analyste psycho-organique permet à la personne de donner plus de corps à une pensée ou plus de sens à une sensation. C’est ainsi que dans la confiance du cabinet, peuvent petit à petit se retisser des liens corps-esprit distendus. Lâchant la volonté de comprendre et de tout analyser, l’analyste psycho-organique propose à son thérapisant une expérience. L’expérience de ressentir ce qui se passe dans l’instant ou « d’amplifier le présent » pour reprendre le terme d’Éric Champ. C’est ce qui fait la singularité et l’efficacité de l’Analyse Psycho-Organique.

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