L’enfant en deuil

Le deuil est un sujet de plus en plus médiatisé aujourd’hui et les magazines regorgent de témoignages et de conseils sur ce thème. Mais si le deuil est désormais moins tabou, le deuil de l’enfant est beaucoup plus méconnu.

L’enfant n’est pas un adulte miniature et ne va pas réagir comme lui à l’annonce du décès d’un proche. Il est animé de croyances particulières sur la mort, et son chagrin n’est pas automatique mais dépend de sa relation au défunt :

LES CROYANCES DE L’ENFANT

La mort n’est pas naturelle. Pour lui, la mort est une réalité lointaine et pulsionnelle en rapport avec son agressivité : on ne meurt pas, on est tué. De là vont découler des sentiments de culpabilité (pensées archaïques de toute-puissance qui peuvent revenir à l’âge adulte). L’enfant peut se croire responsable ou croire que les parents sont responsables de la mort. Il faut donc expliquer comment la personne est morte pour qu’il comprenne que ce n’est pas de sa faute.

La mort est réversible. L’enfant entretient longtemps l’espoir que l’autre va revenir. La pensée magique peut faire cohabiter « maman est morte et maman va revenir ». Pour les parents, c’est douloureux car ils pensent que l’enfant n’a pas compris, mais c’est un fonctionnement normal. Chez l’adulte, on retrouve cet espoir à travers les hallucinations où on croit voir le mort. L’enfant se crée un parent imaginaire, parent-doudou et lui parle. Cette communication peut être secrète.
La mort est contagieuse. Il peut avoir peur de perdre son autre parent ou frère et sœur, il peut avoir peur de mourir lui-même. Il a donc un grand besoin d’être rassuré.
La mort n’est pas universelle. Les super héros ne meurent pas, ni les parents. Lorsque l’enfant voit son parent malade ou mourir, il va réévaluer les projections idéalisées sur le parent, d’invulnérabilité, de protection, de sécurité. Il va devoir transformer le lien à son parent défunt et aussi à son parent restant (il comprend qu’il est lui aussi fragilisé) et il peut s’adapter soit en ayant une sollicitude particulière, soit par le déni visant à le protéger de la souffrance.

MANIFESTATIONS DU DEUIL DE L’ENFANT

Ces croyances sont refoulées vers l’âge de 6 ans, pour s’adapter à la pensée commune en lien avec le mode de croyances culturelles dans lequel vit l’enfant. Quel que soit l’âge de l’enfant, qu’il soit nourrisson ou plus grand, le deuil est vécu dans sa dimension dramatique comme un chaos et un abandon, et il est ressenti en premier lieu dans le corps. Il va d’ailleurs exprimer son désarroi et son chagrin à travers des manifestations somatiques, comme les maux de ventre, l’asthme, l’énurésie…

Le deuil est toujours compliqué pour l’enfant et il provoque des sentiments de tristesse, colère, anxiété, culpabilité, honte, injustice comme chez l’adulte mais il ne l’exprime pas de la même manière. Il l’exprime en changeant de comportement.

L’enfant agit sa souffrance plus qu’il ne la verbalise. Les manifestations de chagrin se font par éclipse en alternance avec des états stables. Des mouvements de régression oscillent avec l’envie d’être plus grand plus vite. Au niveau de l’intériorisation du lien avec le défunt, la reconnaissance de la réalité de l’absence est lente et évolue sur un mode fluctuant, en passant par un parent imaginaire.

Il n’y a pas de fin au deuil infantile mais plutôt des moments de latence. Le processus de deuil sera repris à l’âge adulte, à l’occasion d’un évènement marquant, comme un autre deuil (tout nouveau deuil réactualise les deuils anciens) mais aussi, la rencontre avec un  partenaire amoureux ou la naissance d’un enfant.

COMMENT L’AIDER ?

Pour aller mieux, l’enfant endeuillé a besoin que les adultes lui parlent du parent défunt et le rassure en le réconfortant. C’est parfois difficile lorsque l’enfant ne réagit pas comme on l’imagine. Il peut être dans une forme d’indifférence qui laisse croire qu’il n’a pas compris et qu’il n’est pas touché par
le drame. Ou bien il est dans une colère permanente qui freine les échanges et provoque un rejet.

C’est d’autant plus compliqué pour l’entourage parce que lui aussi est en deuil, et il n’est pas toujours disponible psychiquement pour trouver les bons mots et les bonnes attitudes.
La relation thérapeutique permet à l’enfant d’exprimer ce qu’il ressent dans un lieu neutre, avec un adulte qui n’est pas pris par le drame qu’il vient de vivre et qui va pouvoir l’aider à mettre en mots ce qu’il vit et ressent.

L’Analyse Psycho-Organique est attentive aux manifestations corporelles et aide le thérapisant à relier la sensation à l’émotion qu’elle exprime, en lien avec le récit du drame. L’enfant va pouvoir parler de ce qu’il a vécu à partir de dessins ou de jeux. Il pourra raconter ce qu’il a compris de la maladie éventuelle et du décès de son proche. Il pourra aussi parler des funérailles (nous savons
aujourd’hui que les enfants ont besoin d’aller aux obsèques pour ne pas se sentir exclus des rituels familiaux). Il pourra aussi réévaluer sa vision de la vie à la lumière de son deuil.

Le récit de l’évènement traumatique et de ses conséquences, accompagné de l’attention à ce que cela fait dans le corps, où cela se situe et à quelle émotion cela correspond, apprend à l’enfant à repérer ce qu’il ressent de manière claire. Il comprend les conséquences émotionnelles de ce qu’il vit, il donne du sens à son histoire à travers un sentiment de continuité d’existence qui évite les
clivages, voire les amnésies affectives. Les médiateurs comme la silhouette des émotions, la météo du cœur, les masques, la boite à souvenir, sont des outils d’aide pour intégrer l’histoire afin de mettre de l’ordre dans le chaos émotionnel.
Ce travail d’accompagnement vise à lui redonner confiance en lui et dans la vie, afin qu’il puisse se projeter à nouveau dans un futur possible dans lequel il pourra s’autoriser à être heureux.

Pour aller plus loin dans ce thème :

Hélène Romano, Dis, c’est comment quand on est mort ? Accompagner l’enfant sur le chemin du chagrin, La pensée sauvage, ed 2009, coll Trauma

Sous la direction de Patrick Ben Soussan, L’enfant confronté à la mort d’un parent, Eres, 2013

Brigitte Labbé, Michel Puech, Les gouters philo : la vie et la mort, pour les 8 – 12 ans

Marie Aubinais, Les questions des petits sur la mort, Bayard Jeunesse, pour les 3 – 6 ans

L’association Empreintes, le cahier interactif « mon cahier pour en parler » pour les enfants endeuillés
https://www.empreintes-asso.com/

Vidéo d’un atelier enfants en deuil à l’association Empreintes :
https://www.youtube.com/watch?v=HYLzbENWozY&t=216s

Cet article a 3 commentaires

  1. Yuna quillec

    Merci Valérie pour ce très bel article, documenté, érudit et touchant.
    Je suis aussi allée voir la vidéo d’empreintes et retiens l’existence de ces groupes de paroles si jamais j’avais dans ma patientèle un cas de deuil infantile.
    Merci !

    1. Merci beaucoup Elena et Yuna pour vos commentaires qui témoignent de votre intérêt pour cette clinique particulière !
      Je suis disponible pour donner d’autres références sur le sujet si besoin et effectivement, l’association Empreintes est une bonne ressource pour les familles endeuillées.

  2. Elena

    J’ai beaucoup appris par cet article, merci beaucoup. La mise en mots et la symbolisation sont importantes pour apaiser l’enfant. C’est intéressant de voir aussi comment les croyances enfantines (le défunt va revenir par exemple) sont abandonnées pour se conformer aux croyances admises dans la société. On peut se demander en quoi elles sont utiles. Elles rejoignent les croyances spirituelles, qui ont une fonction guérissantes et apaisantes. Merci pour ton propos clair et sensible sur le sujet.

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