
Je contemplais ce matin en forêt un tapis de minuscules pousses vertes qui osaient sortir des graines germées dans l’humus. Certaines rencontraient le soleil et se dressaient vers le ciel; je me laissai toucher par leur désir d’être. Des oiseaux se coursaient au son de parades nuptiales, me faisant sentir leur élan de vivre la rencontre. Oui, l’énergie du printemps me met en mouvement, et c’est plutôt agréable!
Puis j’observai que de nombreuses jeunes pousses avaient été écrasées, mangées… Ainsi le mouvement de renouveau du printemps, qui va de la profondeur vers le dehors, nous met en tension, nous pousse à prendre le risque de nous dévoiler, de rencontrer la chaleur de l’autre ou bien de revivre des expériences frustrantes. Parfois ce mouvement de vie que nous sentons dans notre bassin peut être source d’angoisse : risquée, porteuse de tension, notre énergie sexuelle n’est pas toujours simple à accueillir.
Car entre nos jambes ou dans le bas de notre ventre nous avons un animal, que nous ne pouvons pas tout à fait maîtriser, ni même comprendre. Un animal travaillé par les cycles des saisons (pour nous tous et toutes), de la lune (pour les femmes surtout dans les menstruations), de la course quotidienne du soleil (pour qui?)… Il y a là de l’Autre qui échappe à nos cadres civilisés, une puissance sauvage au fond de nous-même qui nous relie à plus grand que nous, en même temps qu’elle nous déroute.
Cette puissance nous irrigue d’énergie vitale mais bouleverse les ordres établis qui vont essayer de la cadrer : il y a déjà plus d’un siècle Freud a montré comment nos névroses sont largement issues de cette tension. Quand Paul Boyesen, qui a créé l’Analyse Psycho-Organique (APO), commente la tension entre l’inné sauvage et l’acquis culturel, son plaisir du jeu avec les mots l’amène à questionner : « cet acquis, il est à qui ? ». Et nous voilà déjà entrer dans la profondeur de nous-même quand, à l’écoute de nos sensations corporelles, nous laissons remonter nos images des situations et des personnes qui ont façonné nos représentations de la sexualité. Car notre énergie sexuelle, qui émane des profondeurs de notre corps et cherche un chemin vers l’autre, va circuler dans un canal qui la contient, la limite ; ce canal est constitué de représentations, d’habitudes, de vieilles croyances oubliées mais actives qu’on pourrait nommer « contrats ». Certains contrats nous empêchent de jouir en plénitude comme par exemple « j’existe quand je satisfais le besoin de l’autre », ou « vivre le plaisir c’est risquer d’être déçu ».
Mais ces contrats, qui les a constitués en nous ? Notre famille d’origine ? Nos aïeux, par leurs transgressions cachées ? Notre entourage ? Notre société, qui à la fois réprime la sexualité et nous bombarde d’injonctions à la performance jusque dans notre intimité sexuelle ? Ces contrats que nous avons souvent inconsciemment intériorisés, sont-ils encore bons pour nous aujourd’hui ?
Le processus d’une psychothérapie en APO nous amène à découvrir nos contrats et les transformer, à faire le tri, alors nous remodelons les berges du canal pour laisser s’écouler plus librement le flot de notre énergie sexuelle. Pour l’ajuster à chaque âge de notre vie.
Une séance d’APO peut parfois ressembler à une plongée sous-marine : depuis le regard et la parole échangée en début de séance avec le thérapeute, vers le contact avec l’émotion, et quand le patient s’allonge pour mieux sentir son corps vers la profondeur des sensations qui se révèlent à travers des images… ou vers l’indicible de perceptions qui n’ont pas encore de mots, mais qui offrent de sentir la source de vie qui coule en nous-même.
C’est alors un espace de rencontre avec des parties de soi oubliées, non autorisées, qui étaient en attente de s’exprimer depuis parfois très longtemps.
L’accueil de ce qui monte de la profondeur du corps peut être silencieux et apparemment immobile, mais peut aussi être favorisé par l’ouverture du souffle, de la voix, voire par l’éveil de mouvements. Chaque processus est singulier et le thérapeute en APO est attentif à respecter ce qui émerge pour la personne, à lui proposer des dispositifs de rencontre avec soi au rythme qui est juste pour elle. Puis vient le temps de la remontée vers les images et les mots : quand parler avec cet accompagnateur sensible qu’est le thérapeute permet de se dire, de découvrir et affirmer qui l’on est.
C’est dans ce double mouvement de plongée puis remontée que se crée du lien en soi, que se tisse une connexion entre notre corps, réservoir de notre énergie sexuelle, et notre personnalité consciente qui devient plus capable d’accueillir ce qui remonte des profondeurs de soi. C’est aussi, du point de vue neurologique, un travail de mise en connexion entre différentes parties de notre système nerveux : par exemple le cortex qui gère la pensée verbale, le cerveau limbique qui gère les émotions et le désir, des structures plus archaïques gérant les constantes vitales et la sexualité, mais aussi notre système nerveux entérique ou « cerveau du ventre ».
Cette plongée qui favorise la création du lien en soi qu’est le processus thérapeutique en APO nous relie à la source sauvage et l’humanise en l’accueillant pleinement, en la canalisant d’une façon juste pour soi. En faisant un tri dans l’acquis (« à qui ? ») des mémoires et contrats, pour créer un canal plus ajusté à notre désir.
La psychothérapie ne nous évitera pas le manque, ni les limites. Mais à mesure que l’énergie sexuelle circule de façon plus fluide, c’est un chemin vers soi qui s’ouvre, vers l’acceptation inconditionnelle de nous-même, de nos élans et de notre vulnérabilité, de notre puissance et de notre sensibilité, une acceptation d’un soi qui – paradoxe troublant mais dynamique ! – ne se révèle pleinement que dans la rencontre intime avec l’autre.
Parmi les inspirateurs de l’APO figure Wilhelm Reich, ce psychiatre qui le premier a montré à quel point la satisfaction sexuelle est une composante majeure de notre santé physique et psychique. Mais figure aussi Sandor Ferenczi qui a montré la filiation profonde qui unit sexualité et évolution des espèces : en effet la sexualité pénétrante telle que nous la connaissons n’est apparue qu’il y a 300 millions d’années, quand un certain reptile Hylonomus a colonisé les premières terres émergées. Cet animal sauvage sexuel que nous avons entre les jambes ou en bas du ventre nous donne donc accès à une histoire archaïque !
Ainsi s’ouvre un chemin vers un Autre plus vaste que nous, dans l’union universelle que la sexualité peut offrir quand elle est vécue dans l’amour et culmine dans l’orgasme : ce retour éphémère mais bienfaisant à l’indifférencié.
Bonjour
Je reste une indéfectible fan de votre prose,merci de nous faire partager votre univers à la poétique et vibrant d’énergie de vie qui nous reconnecte juste à nous même.
Cordialement.
Martine Lebrun-Gauthier.