Mots clés : nouveaux hommes-patriarcat-castration émotionnelle- communication émotionnelle- groupe psychothérapeutique d’hommes.
Nous entendons parfois que les hommes ont évolué : à l’époque patriarcale, qui donnait au père le statut de « chef de famille », aurait succédé l’âge des nouveaux hommes : coopérant avec les femmes, assumant leur sensibilité, capables de communication émotionnelle. Ce n’est pas ce que j’observe dans mon cabinet de psychothérapie.
Certes, la posture du mâle alpha qui décide pour le groupe semble moins fréquente. Mais la capacité des hommes à sentir et partager leurs émotions reste faible ; leur difficulté de faire appel à la psychothérapie, leur évitement de dévoiler leur vulnérabilité, leur crainte des groupes où l’on parle vrai, montre en creux comme la castration émotionnelle, que les garçons qu’ils étaient ont souvent subie, reste d’actualité.
Comme elle est lente l’évolution des hommes ! Avec cette difficulté de communication émotionnelle, il leur est souvent difficile de créer des liens de coopération profonds et durables dans leur couple, avec leurs collègues, leurs ami-es, leurs enfants, leurs parents… Ainsi, beaucoup semblent avoir quitté l’attitude patriarcale traditionnelle, mais pas encore atteint une attitude coopérante, qui implique l’accès à soi, à l’écoute, au savoir-être authentique. Déjà plus ceci, mais pas encore cela : est-ce donc qu’ils sont coincés dans un vide, entre deux étapes d’une évolution sociétale dont la lenteur se confirme aujourd’hui ?
L’éducation des garçons, une castration émotionnelle
Précisons : par castration émotionnelle, j’entends la perte d’accès à ses propres émotions, et donc la carence de sensation de soi, qui est la conséquence d’une éducation encore fréquemment donnée aux garçons : tu ne dois pas avoir peur, ne pleure pas, tu dois gagner le match, contrôler… Ces injonctions sont souvent transmises dans l’implicite, par des messages non verbaux, des attitudes, des choix de contenus culturels, de jeux, de cadeaux, qui enrôlent le garçon dans l’action, l’extérieur, le contrôle, la dissimulation de sa peur et de sa tristesse. Elles répètent, souvent inconsciemment, ce qui avait été inscrit à la génération précédente. Ce faisant, les parents, aussi bien intentionnés qu’ils soient, « jettent le bébé avec l’eau du bain » : la part sensible de leur garçon devient moins accessible à lui-même et donc aux autres.
Cette castration émotionnelle tend à se transmettre de père en fils ; ainsi, de nombreux hommes ont vécu peu de communication émotionnelle authentique avec les autres hommes. Or pour grandir, se connaître, se réaliser, l’homosensualité (sentir du même) est nécessaire. Un manque est présent pour de nombreux hommes, qui peut être transformé par diverses relations sociales : travail, sport, amis… Mais le groupe de psychothérapie présente cette spécificité qu’il est un espace protégé, par son cadre qui inclut confidentialité, respect de la distance et non-jugement. Ainsi, les endroits les plus fragiles de soi, blessés, carencés ou honteux peuvent apparaître, alors qu’il est trop dangereux de les laisser voir dans d’autres relations sociales.
L’apport du groupe d’hommes en psychothérapie
Mais on voit peu les hommes en psychothérapie. Et en groupe de psychothérapie encore moins : exprimer sa sensibilité et sa vulnérabilité en groupe est le contraire de l’éducation qu’ils ont reçue : quel cauchemar ! Alors bravo à ceux qui osent ; on peut les dire : capables d’authenticité.
Là où leur sensibilité est, au départ, imaginée comme une faiblesse, ils découvrent progressivement « la puissance de leur sensibilité », comme dit Paul Boyesen. L’expérience me montre que le groupe psychothérapeutique d’hommes offre la possibilité de vivre cela. Parce que le cadre sécurisant facilite l’écoute de soi et des autres, il devient possible de dépasser la peur d’être jugé. Le viril se révèle alors non pas comme une dureté, mais comme une sensibilité qui s’affirme dans sa puissance. Et c’est la relation aux émotions qui se trouve transformée : quand des larmes viennent, elles ne témoignent pas de faiblesse, mais du contact avec un désir en attente de s’exprimer. Quand la peur se dévoile, elle informe utilement d’un danger. Quand la colère s’exprime, elle témoigne d’une soif de justice en devenir.
Cela peut passer par le témoignage, le partage de questionnements, mais aussi le jeu avec des situations, incluant la rivalité, ou par des créations collaboratives. L’Analyse Psycho-Organique facilite ces processus, parce qu’en mobilisant le corps elle favorise l’accès aux sensations, au sentir qui ouvre le chemin aux émotions et à l’énergie vitale en attente de se réaliser. L’APO se base aussi sur notre capacité à laisser émerger du fond de soi ce dont nous aurions besoin, par exemple l’image intérieure d’un père tout à fait bon pour soi, qui est pour chacun une création singulière et précieuse.
Les expériences de communication authentique facilitent la reconnaissance mutuelle entre hommes. Il devient possible d’exprimer ce qui a été accompli, mais aussi ce qui n’a pas été accompli : dans cette qualité de relation, le manque peut être entendu comme le potentiel en devenir. L’espace du groupe d’hommes offre d’explorer comment être ni soumis ni dominant, mais coexistant. Jusqu’à sentir que sa puissance singulière trouve sa place parmi d’autres hommes. Dans le chœur des hommes. Car, une partie de ce que nous aurions eu besoin de vivre avec nos pères, peut advenir avec nos pairs.