Le biais de confirmation nous amène à retenir ce qui conforte nos croyances, à chercher les informations qui les confirment et à rejeter ce qui les met en doute. Il nous pousse à accumuler et à conserver les informations qui fortifient ce que nous pensons déjà et à écarter ce qui nous contredit.
Parmi les nombreuses recherches et expérimentations effectuées sur cette question, citons d’abord une étude effectuée dans le domaine psy : en 1968, Maurice Temerlin, professeur à l’université de l’Oklahoma, invita deux groupes de psychiatres à se prononcer sur le comportement d’un homme. Il s’agissait en fait d’un acteur, dont le rôle était de se comporter normalement. Au premier groupe de ces psychiatres il dit que l’homme était « un cas intéressant parce qu’il semblait névrotique, mais en réalité est plutôt psychotique ». Il n’influença d’aucune façon le second groupe. Après observation du « patient », 60 % du premier groupe conclut que cette personne était psychotique, en général schizophrène, contre zéro pour le second groupe.
Une autre recherche, plus récente, démontre le même phénomène : le professeur Vicki Leblanc de l’université de Toronto et son équipe, en 2002 , donnent à un groupe d’internes en médecine (il ne s’agit pas de psychiatres, cette fois) un faux diagnostic, puis ils leur demandent de diagnostiquer eux-mêmes le patient. Dans 66% des cas, les internes vont réinterpréter les signaux cliniques qu’ils voient pour confirmer l’hypothèse qu’on leur a donnée, alors que certains symptômes contredisaient complètement ce premier diagnostic.
Il n’est guère possible de voir la réalité sans qu’elle soit envahie par nos croyances et nos conditionnements. Le biais de confirmation peut prendre la forme d’un agrégat de croyances ou de pseudo-preuves de celles-ci, que nous projetons sur la réalité. Ainsi, contrairement au dicton, nous ne croyons pas ce que nous voyons, mais nous voyons ce que nous croyons.
Le biais de confirmation est la source de tous les biais. Une fois que notre cerveau a une opinion, il va développer tous les moyens pour la maintenir. Les professeurs Kaplan et Garner de l’université de Californie ont montré que lorsque nous prenons connaissance d’informations qui contredisent notre opinion, un réseau cérébral lié à l’identité s’active. L’hypothèse est que, pour notre cerveau, nos opinions sont une partie de notre identité. Les remettre en question c’est remettre en question qui nous sommes.
Inversement, des zones cérébrales liées au plaisir sont activées quand nous lisons des informations qui confirment notre façon de penser. Le cerveau étant conçu pour maximiser le plaisir, il cherchera en permanence ce qui conforte notre opinion et rejettera les informations inverses.
Devant les risques du biais de confirmation, il convient de réussir à suspendre son jugement le temps d’étudier le sujet sous différents angles et d’examiner toutes les options possibles. Il faut se montrer capable d’entendre et d’accepter les remarques qui nous contrarient, prendre le temps de nous informer. Voilà la bonne attitude à adopter. Il n’est pas toujours simple de la mettre en œuvre.
Mais, est-ce que l’Analyse Psycho-Organique a quelque chose de particulier à apporter à ce sujet ?
Le lien au corps n’est-il pas, ici aussi, une voie de transformation ? On connaît la phrase fameuse d’Alexander Lowen : « Le corps ne se trompe pas ». Il est toujours éclairant d’être en contact avec son ressenti corporel quand il s’agit d’avoir une opinion sur quelque chose, une décision à prendre, un choix à faire. Que dit mon corps ? Qu’est-ce qu’il exprime ? Si je prends le temps de m’ouvrir, de façon sensible et intime à mes sensations corporelles, qu’est-ce qui apparaît ? Souvent, ça marche : mon corps vit une tension quand la chose ne me semble pas fondamentalement juste ou, à l’inverse, un soulagement-tranquillité lorsqu’il est en adéquation avec ce que je ressens et que je veux vraiment.
Mais, pour autant, est-ce un accès à autre chose qu’à mon opinion pré-établie ? Il me semble que oui. Il me semble que le corps n’est pas victime, de la même façon que le cortex, du biais de confirmation. La sensation corporelle peut se révéler porteuse d’une vérité, d’un désir qui ne sont pas obligatoirement ceux du cortex. Ne serait-ce pas là, d’ailleurs, l’origine de l’intuition ? Aucune étude n’a été faite, à ma connaissance, sur la liberté du corps au regard du biais de confirmation. Dommage.
Ce positionnement différent du corps par rapport à nos croyances, nous pouvons aisément l’expérimenter pour nous-mêmes. Nous en faisons aussi l’expérience quotidienne avec nos thérapisants. Les réponses à des questions de base que peut poser un analyste psycho-organique telles que « Comment c’est dans votre corps quand vous me dites ça ? » « Comment ça a réagi dans votre corps à ce moment-là ? » se révèlent souvent une ouverture à un dévoilement nouveau de la réalité. Actuelle ou passée.
Marc Tocquet
[1] Temerlin, M. K. (1968). Suggestion effects in psychiatric diagnosis. The Journal of Nervous and Mental Disease, 147(4), 349-353.
[2] LeBlanc, V. R., Brooks, L. R., & Norman, G. R. (2002). Believing is seeing: the influence of a diagnostic hypothesis on the interpretation of clinical features. Academic Medicine, 77(10), S67-S69.
[3] Kaplan, A., & Garner, J. K. (2017). A complex dynamic systems perspective on identity and its development: The dynamic systems model of role identity. Developmental psychology, 53(11), 2036.
Merci pour ton article Marc, je trouve ça passionnant ! J’ai observé moi-même le plaisir de retrouver mes croyances dans des lectures ou autre qui favorise certainement le renforcement identitaire et de ce fait, une forme de sécurité interne. J’ai l’impression que les algorithmes de nos moteurs de recherche l’ont bien compris…