Pendant des décennies nous avons entendu des informations préoccupantes sur les dégradations du monde vivant et du climat, causées par l’humain, suivies parfois par la querelle entre les inquiets (« il faut faire quelque chose ! ») et les sceptiques (« rien n’est prouvé, on verra bien… »). Mais depuis les records de chaleur, les inondations de 2021 et 2022, l’opinion publique européenne a évolué. La question semble à présent de savoir comment vivre avec la crise environnementale, dont les effets annoncés ne font que commencer. La notion d’écoanxiété s’est invitée dans les médias et nous interroge : quelles émotions sont éveillées en nous par cette situation ? Est-ce adapté aujourd’hui de craindre un effondrement ? Et si nous sentons peur, tristesse, colère, culpabilité, honte, cela va-t-il nous nous empêcher de vivre, ou au contraire nous aider à évoluer ?
Pour répondre à ces questions, nous pouvons observer que si nos émotions ont été sélectionnées au cours des trois milliards d’années de l’évolution de la vie sur la Terre, c’est probablement parce qu’elles nous sont utiles. En effet, la peur nous aide à survivre à un danger, la tristesse nous informe que ce qui est menacé nous est précieux, la colère refuse une maltraitance, car elle veut une bientraitance, le sentiment de culpabilité nous informe que nous avons transgressé un principe, la honte essaie, bien que maladroitement, de nous protéger des critiques. Et oui, si l’on s’appuie sur la démarche scientifique des milliers de chercheurs du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat, sentir aujourd’hui ces émotions douloureuses est adapté à la réalité. Nous pouvons les éviter pour nous en protéger : c’est alors le déni, ou l’écodissociation : on fait l’autruche. Mais quand nous parvenons à les sentir, vers quoi nous mettent-elles en mouvement ?
L’observation clinique montre que l’écoanxiété prend parfois la forme d’un arrêt ; comme le nomme l’analyste psycho-organique Charline Schmerber : un « éveil écologique traumatogène » peut nous perturber au point de ne plus réussir à vivre notre vie habituelle, perçue comme absurde. Le figement est une des réponses de notre cerveau à un danger imminent. Nous voilà pris dans le sentiment d’urgence : comment arrêter immédiatement notre mode de vie destructeur du monde vivant, alors que nous n’avons pas d’alternative confortable ? Le conflit entre nos désirs immédiats et nos valeurs est massif, la dissonance cognitive nous met en crise. Notre réponse pourrait être de nous engager à corps perdu dans des actions de transition, jusqu’au « burn-out écologique ». L’effondrement redouté sera… le nôtre !
Il va nous falloir alors accepter la réalité de limites : les nôtres, mais aussi les limites de ce que notre écosystème peut donner. Ce processus de deuil est au centre de la traversée de l’écoanxiété. La tristesse, aussi pénible soit-elle, nous offre d’entrer dans l’acceptation que le monde tel que nous le connaissions ne sera plus, mais aussi dans l’acceptation de la lenteur du changement chez l’humain. La diminution de notre conflit interne rend alors davantage disponible notre énergie créative, celle qui veut créer une relation plus harmonieuse avec le monde. Mais cette fois nous nous engagerons en respectant notre écologie intérieure : c’est le passage de la culpabilité à la responsabilité. Des ressources vont nous aider : vivre au présent malgré l’urgence, profiter de contacts bienfaisants avec la nature, s’ouvrir à penser le temps long, imaginer d’autres scénarios du futur, se relier à des éco-initiatives. Et puis commencer petit : poser des actes modestes, à son rythme. Enfin témoigner sans chercher à convertir.
Des accompagnements non thérapeutiques peuvent nous soutenir, comme l’écopsychologie qui propose des processus d’harmonisation entre les humains et leur écosystème.
Alors l’écoanxiété est-elle normale, voire un passage nécessaire pour grandir ? Par delà le cheminement simplifié que nous venons de décrire, il existe autant de parcours que de personnes et parfois des formes pathologiques apparaissent, notamment quand des émotions anciennes sont réveillées. Quand nous avons vécu des deuils non parlés, voire traumatiques, quand des effondrements ont touché nos familles, nous sommes porteurs de mémoires émotionnelles qui risquent d’être activées par la situation environnementale. L’écoanxiété peut prendre ainsi des formes radicales : dépression sévère, coupure des relations sociales, désinvestissement de l’avenir… C’est alors que la psychothérapie peut permettre de mieux traverser : retrouver de la sécurité existentielle, de l’estime de soi, apaiser les mémoires des situations réveillées, construire une identité plus enracinée, se projeter à nouveau dans l’avenir.
Un espace de rencontre avec soi peut aussi être désiré sans que l’on soit en grande souffrance : au moment de se réinventer, être accompagné par une écoute professionnelle peut-être soutenant.
L’Analyse Psycho-Organique, parce qu’elle fait une place importante à l’écoute du corps, peut participer efficacement à retrouver la sécurité existentielle, qui s’enracine dans une sensation agréable de soi. Retrouver le rythme juste, ni figé ni hyperactif, passe par s’accorder à nouveau avec le monde de sensations qui remonte des profondeurs de notre corps : penser ce que l’on sent, sentir ce que l’on pense. Si la crise environnementale témoigne d’une dissociation entre l’humanité et la nature, ne trouve-t-elle pas sa source dans une dissociation entre nos esprits et nos corps ? Ainsi prendre soin de notre écologie intérieure devient une base sur laquelle construire une relation renouvelée au monde vivant.