Eviter au maximum d’avoir besoin de soins en favorisant la santé et le bien-être

Tribune du Monde  23 janvier 2023

Voir l’article

Un collectif de médecins, de chercheurs et d’élus estime, dans une tribune au « Monde », nécessaire de refonder notre vision de la santé publique en l’élargissant à des domaines autres que le seul monde médical.

Notre système de santé, entend-on partout, est en crise. Mais c’est inexact. Ce qui est en crise, ce n’est pas un système de santé, c’est-à-dire un système qui aborde la santé dans toutes ses dimensions avec pour objectif premier d’éviter la maladie, mais un système de soins. Et, au surplus, essentiellement fondé sur les soins médicaux.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « La cause de la crise du système de santé est la décision de privatiser les services publics »

Il y a à cela diverses raisons historiques qui ont favorisé le modèle biomédical de la santé : lutte victorieuse contre les maladies infectieuses, spectaculaire progrès des instruments et de l’imagerie, facilité du financement à l’acte et de la tarification à l’activité, faiblesse de l’approche par forfaits ou de tarifs pour la prévention, adhésion des médecins à une source de revenus prévisible et assurée par le paiement des actes, rémunérations en outre garanties par le malthusianisme de la formation (le numerus clausus à l’œuvre durant presque un demi-siècle même si là n’était pas son seul but), croyance dans le progrès infini de la médecine et de la pharmacie ainsi que dans les capacités sans limites de paiement de nos assurances sociales, délaissement dramatique de la santé mentale, car peu accessible à la normalisation des actes.

Bref, un système qui date et dont les tares, pourtant congénitales, ont longtemps été ignorées : du fait du paiement à l’acte, renforcement de la concurrence en lieu et place de la coopération des établissements de santé entre eux et avec la médecine de ville ; inadaptation aux maladies chroniques et dégénératives aujourd’hui dominantes ; manque de moyens pour la recherche ; inégalités sociales et territoriales grandissantes ; faiblesse de la santé dans l’éducation ; égoïsme de la consommation de soins et méconnaissance des conditions de la solidarité.

Fonctionnement en tuyaux d’orgue

L’heure est grave, et la crise se signale d’abord par le manque inquiétant de médecins et d’infirmiers à l’hôpital comme en ville. Des spécialités sont sinistrées : psychiatrie, cardiologie, rhumatologie, gynécologie, pédiatrie et bien d’autres. Partout les délais pour obtenir un rendez-vous s’allongent… à six mois, à un an… conduisant à des situations dramatiques et – cela commence à être sérieusement documenté – à des pertes de chance de survie.

Ajoutons-y des difficultés d’approvisionnement en certains médicaments de très grand usage. La crise est profonde, systémique, touchant tous les aspects de notre système de soins. Ce n’est pas demain que cela changera. Quand bien même ce serait possible, il y faudrait du temps. Soudain, on se rend compte que ce ne serait pas plus mal d’éviter au maximum d’avoir besoin de soins en favorisant la santé et le bien-être.

C’est possible : on sait depuis longtemps que la santé n’est pas liée qu’aux soins, mais à tout un ensemble, bien plus large, de déterminants de santé. Plusieurs études ont cherché à les quantifier, ils convergent généralement en expliquant que 20 % de notre état de santé repose sur le système de soins et de protection sociale, 15 % sur les déterminants génétiques et biologiques propres à l’individu ou à son groupe, 15 % sur l’environnement physique et 50 % sur l’environnement social et économique. Ces proportions sont celles sur lesquelles s’appuyait déjà la charte d’Ottawa en 1986 pour promouvoir « la santé pour tous en l’an 2000 » en incitant les systèmes de soins à collaborer avec des partenaires d’autres secteurs d’activité comme l’éducation, le sport, la culture, l’emploi, l’agriculture et l’alimentation, le logement, les transports, l’environnement, le tissu associatif et social.

Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés Santé : « Non, monsieur Macron, l’hôpital n’a pas tenu. Il est même en voie d’effondrement »

Mais, en France, aujourd’hui on continue à fonctionner en tuyaux d’orgue sans accorder aux élus, aux citoyens, aux patients, aux éducateurs, à tous, la place qu’ils devraient occuper dans les instances de santé et sans leur donner les moyens d’agir pour la santé dans tous les territoires, à leur échelle. Et dans le même esprit on continue de ne consacrer à la prévention que moins de 5 % des dépenses totales de santé, comme en témoignent, année après année, les comptes nationaux de la santé.

Incurie collective

De telles actions, dira-t-on, mettront du temps à porter leurs fruits. Mais outre que ce n’est pas exact – un terrain de sport, une école de musique font vite leurs effets –, il faut plus de temps encore et de moyens pour former des médecins. Pour les dix à quinze prochaines années au moins, au vu des délais de formation, on n’en trouvera pas ou peu sauf à aller les prendre dans des pays où ils feront défaut, ce qui n’est moralement pas très glorieux, pour ne pas dire plus.

Sans doute faut-il placer le corps médical face à ses responsabilités et le mobiliser, mais les médecins ne sont pas individuellement responsables de la situation. L’incurie est collective. Alors pourquoi ne pas bâtir ensemble un vrai système de santé ?

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « L’hôpital public n’est plus capable d’amortir la moindre crise sanitaire, même si elle est prévisible »

Les acteurs locaux savent faire et voudraient faire mieux encore : cantines, services aux personnes âgées, culture et vie associative, sports, toutes choses qui ont un impact très fort sur la santé. Au-delà de ces dépenses, il faudrait développer, en proximité et au quotidien, la culture de santé publique, l’information et l’éducation à la santé, dans les écoles, les centres sociaux ou les associations de quartier. Beaucoup de choses sont déjà faites, mais on pourrait bien plus.

Les établissements hospitaliers, premiers concernés par le manque de professionnels, se démènent souvent pour des actions de prévention, mais leurs moyens financiers sont également très limités et la tarification à l’activité les condamne à une impossible et immorale « rentabilité » : immorale car ce que la République et ses citoyens sont en droit d’attendre des agents publics, ce n’est pas la « rentabilité », mais simplement la bonne gestion des deniers qui leur sont confiés en vertu des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Finançons donc, au niveau voulu et collectivement, toutes ces initiatives et fabriquons ensemble un véritable système de santé territorialisé.

Les signataires sont : Dominique Méda, professeure des universités, sociologue ; Gilles Noël, maire (divers gauche) de Varzy (Nièvre), vice-président santé de l’Association des maires ruraux de France ; Antoine Pelissolo, professeur de psychiatrie et premier adjoint (PS) au maire de Créteil ; Rosa Rebrab, psychiatre des hôpitaux à Besançon ; Emmanuel Vigneron, professeur émérite des universités, géographe de la santé ; Antoine Brun d’Arre, médecin généraliste au Vigan (Gard) ; Jean-Michel Budet, ancien directeur d’hôpital ; Etienne Caniard, ancien président de la Mutualité française ; Frédéric Chéreau, maire (PS) de Douai (Nord) ; Guy Clua, ancien maire (divers gauche) de Saint-Laurent (Haute-Garonne) ; Isabelle Dugelet, maire (sans étiquette) de La Gresle (Loire) ; Pascal Forcioli, directeur de l’Etablissement public de santé mentale de Vendée ; Bruno Liffran, ancien directeur d’hôpital ; Benoit Péricard, président de l’association médico-sociale HOVIA ; Claude Pigement, médecin gastro-entérologue, membre du conseil de surveillance de l’Agence régionale de santé Ile-de-France.

Collectif

Laisser un commentaire